Dans ces pages, Saverio Cannistrà étudie les positions de ce
théologien luthérien en trois étapes. La première est une critique
du «théisme», que Jüngel considère comme une vue dépassée du Dieu
métaphysique. La seconde recherche les catégories de pensée d'une
théologie non théiste; elle étudie les rapports entre Jüngel et
Heidegger sur la possibilité, opposée à la nécessité, et la liberté
d'un Dieu engagé dans l'histoire. La troisième présente la
théologie du Crucifié; elle discute le passage de l'ontologie à
l'herméneutique chez Barth, Bultmann et les critiques de celui-ci,
et présente une christologie de Jésus, Dieu-homme. Dans une
conclusion détaillée, C. examine la volonté de Jüngel de fonder la
théologie et la «justification» dans la fidélité aux thèses
luthériennes et de montrer que Dieu est fidélité et amour. «L'amour
est le mystère plus-que-nécessaire de l'homme. Voilà pourquoi ce
n'est que dans la logique et dans le langage de l'amour qu'il est
encore possible aujourd'hui de parler de Dieu» (p. 371). Le
problème contemporain du fondement de la théologie reçoit dans
l'oeuvre de Jüngel une réponse univoque: «Jésus Christ est le
fondement dernier et irremplaçable de la théologie chrétienne… qui
peut en conséquence être dite une théologie du Crucifié… Dieu n'est
théologiquement pensable que comme Dieu sauveur, l'homme ne l'est
non plus que comme homme sauvé» (p. 365).
C. relève aussi, dans les critiques faites par Jüngel au donné de
la tradition, une simplification excessive de celle-ci, plus riche,
plus variée et plus complexe qu'il ne le dit. Il note encore, dans
son emploi du «ou bien ou bien» une tendance à radicaliser, p. ex.
dans son rejet du mot «Dieu» en dehors de la révélation chrétienne.
Mais il ajoute qu'il faut reconnaître que cette théologie constitue
une contribution importante pour la compréhension par notre époque
de la vérité chrétienne dans toute sa réalité concrète.
Nous ajouterions volontiers que la racine des difficultés de Jüngel
et l'effort considérable qu'il fait pour les surmonter, nous
semblent remonter au rejet par Kant de la possibilité d'affirmer
l'existence de Dieu. Or, celui-ci se révèle à la fois comme
nécessairement existant et comme non conceptualisable. Le
reconnaître sous ce double aspect nous semble lever l'obstacle
essentiel à un dialogue vrai avec Jüngel. Dans cette conception,
Dieu peut librement décider de nous parler: ce sera une révélation,
pas une rupture - Rahner l'a montré en étudiant les conditions a
priori de l'intelligibilité de cette parole, objet d'une libre
initiative du Dieu d'amour. - L. Renwart, S.J.