Le cas Spencer. Religion, science et politique

D. Becquemont L. Mucchielli
Philosophie - Recenseur : Leclair
Pourquoi H. Spencer (1820-1903) est-il tombé dans l'oubli après avoir connu tant de gloire dans les pays industrialisés entre 1855 à 1890 et même jusqu'en 1930 aux États-Unis? Ce méthodiste de Derby, au coeur du centre industriel de l'Angleterre, fut formé jusqu'à 18 ans par son père et par son oncle, car l'Université était fermée aux non-anglicans. À 18 ans, il devint «ingénieur» des chemins de fer et continua à se former sur le tas, faisant preuve de beaucoup d'esprit d'invention. Après différents essais de journalisme, il revint au chemin de fer puis reprit le journalisme et entra dans un salon intellectuel progressiste de Londres, tout en continuant à forger sa pensée à partir de ce qu'il connaissait des sciences. Dès 1842, il précisa peu à peu sa théorie de l'évolution des espèces et une opposition acharnée à toute intervention de l'État dans n'importe quel domaine pour ne pas handicaper l'action des individus et le progrès selon les lois dites naturelles. Spencer aboutit progressivement à une religion naturelle sans conflit avec la science. À partir de ses Premiers principes (1851), sa pensée ne variera plus guère tout en étendant le champ de ses applications en passant par la physique, la nature, la société, la psychologie, la morale et l'éducation. Il fut le premier à populariser l'idée de l'évolution des espèces (Darwin écrira après lui et à partir de principes différents). Spencer s'appuyait principalement sur l'embryologie où tout se développe par agrandissements successifs. De même sa méthode procède par généralisations où les faits ne servent qu'à illustrer les «vérités essentielles» découvertes par la pensée pure. Il a foi dans les capacités cognitives de l'individu et dans l'harmonie des lois de la nature. En fait, sans bien en être conscient, il reflétait l'individualisme des méthodistes et les valeurs de la nouvelle bourgeoisie libérale et industrielle anglaise de 1830-1850.
Le fixisme étrange de ses idées évolutives lui fut fatal. Son déclin débuta avec la stupeur causée dans l'opinion par sa froideur devant les conséquences tragiques de son individualisme intransigeant et ceci entraîna la chute progressive de tout son système. En 1896, il reconnut lui-même ses erreurs, renia sa philosophie synthétique et sombra dans le pessimisme au sujet de la nature humaine qu'il avait tant vantée.
Dans une deuxième partie fort développée, les deux auteurs s'intéressent à l'influence de Spencer sur la pensée française entre 1864 et 1907, face à des hommes tels que Taine, Ribot, Durkheim, Bergson… Que reste-t-il de Spencer? Probablement une certaine atmosphère évolutionniste, l'idée de continuité entre évolution biologique et sociale en économie et en morale, par le moyen d'un réductionnisme du social au biologique et aux lois du marché. Ouvrage instructif qui fait revivre 60 ans d'histoire occidentale qui ont grandement orienté notre siècle et qui, en même temps, nous découvre la luxuriance de la pensée anglaise de cette époque. - G. Leclair.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80