Le titre de cet essai engagé ne dévoile aucunement son véritable
contenu. Au terme d'un long parcours historique permettant de
mettre en évidence 1) que l'affirmation de l'infinité de
l'espace finit toujours par s'accompagner de celle de son
éternité, avec pour conséquence l'assignation d'attributs divins au
monde naturel ; 2) que la thèse de l'éternité du monde est
traditionnellement corrélée à l'athéisme alors que celle de son
commencement temporel est unanimement ressentie comme favorable à
la vision biblique de la création (ainsi qu'en témoignent
d'ailleurs les fortes résistances aussi bien scientifiques,
politiques que philosophiques suscitées par le Big Bang) ;
3) qu'il existe un assez large consensus pour interpréter la
création ex nihilo comme une création
s'inscrivant dans le temps ; et 4) que les modèles
cosmologiques contemporains nous font passer, avec le modèle
standard issu du Big Bang, d'un univers éternel à un univers marqué
par la temporalité, il s'agit, dans cet essai, de redonner ses
lettres de noblesse à la théologie naturelle et, plus
particulièrement, à l'argument cosmologique. Malheureusement,
malgré la prudence du propos, la richesse indiscutable de la
documentation factuelle et textuelle rassemblée ne semble pas
s'accompagner d'une égale profondeur conceptuelle :
théologiquement, la nature de la relation qui unit le Créateur à sa
création n'est pas questionnée ; philosophiquement, la nécessité
intrinsèque d'une médiation entre discours scientifiques et
discours religieux n'est pas suffisamment ressentie ;
épistémologiquement, le caractère forcément hypothétique et
temporaire des théories scientifiques n'est pas assez pris en
compte ; stratégiquement, les leçons de l'affaire Galilée (à savoir
les dangers de compromettre un message intemporel en l'associant de
trop près à une vision scientifique nécessairement provisoire) ne
sont pas assez retenues. À titre strictement personnel, notre
positionnement face à cette délicate question serait donc différent
de celui qu'assume l'auteur. Au lieu de privilégier une
création ex nihilo s'inscrivant dans le temps et
dans l'espace, nous soutiendrions, dans un premier temps, une
création ex nihilo de toute éternité, ce qui,
d'une part, réduirait à néant l'utilité de toutes les recherches
idéologiques menées par certains cosmologistes pour fuir le
commencement du monde en croyant ainsi échapper à la question
métaphysique de ses origines et, d'autre part, apporterait à la
théologie chrétienne de la création la sérénité de sa parfaite
compatibilité aussi bien avec les modèles cosmologiques affirmant
(sous une forme ou une autre) l'éternité du monde qu'avec ceux qui
soutiennent son commencement singulier. Dans un second temps, nous
ferions remarquer que, pour nos intelligences humaines tributaires
d'une imagination qui associe spontanément les concepts de création
et de commencement, la cosmologie contemporaine présente
l'avantage, du moins pour le moment, de nous conduire plus
naturellement (mais non pas avec davantage de nécessité !) à nous
poser la question philosophique et théologique de l'origine du
monde naturel. - J.-F. Stoffel