Le christianisme à contre-histoire. Entretiens

Émile Poulat D. Decherf
Histoire - Recenseur : Bernard Joassart s.j.
Vingt ans après, É. Poulat renoue avec un genre pratiqué dans Le catholicisme sous observation: celui de l'entretien.
Relisons d'abord quelques lignes du liminaire de L'ère postchrétienne (1993): «Je ne suis pas historien… Je ne suis pas davantage théologien… Je suis donc sociologue… tenacement attaché à saisir ce qu'il en va du religieux à l'âge de la modernité, persuadé que c'est bien autre chose qu'une affaire de statistique de pratique cultuelle ou d'opinion publique» (p. 9). Et pourtant, en 2003, d'histoire il en est question de la première à la dernière ligne, tout autant que d'avenir, comme du présent, dans les cinq chapitres, au titre parfois un peu énigmatique: «Retour aux sources», «L'Église libre», «Une histoire chrétienne mise à nu», «La révolution libérale», «Le temps de la conversion».
Au commencement était le modernisme, serait-on tenté de dire, ce triomphe de l'histoire, d'une certaine histoire, noeud de tout un héritage dont la liquidation n'est pas prête d'être achevée, et plus haut encore, le libéralisme, ennemi irréductible de l'Église. Et puis tout s'enchaîne, ou peut-être plus exactement se profile une galaxie d'idées et de faits. Un monde ancien s'en est allé, celui où le religieux informait toute la vie; un nouveau monde se fait, parfois obscurément, où histoire, conscience, liberté, foi et bien d'autres termes ont pris des colorations nouvelles, où sont nées des réalités qui ont dérouté et continuent de dérouter, y compris l'Église parfois bien embarrassée par la liberté qui lui est accordée même du point de vue de la plus stricte légalité laïque. Se vit dès lors un présent, certes écartelé, incertain, mais plus riche que toutes les nostalgies et tous les intégrismes ne le ressassent à l'envi, où le catholicisme doit trouver d'autres marques, non par esprit de suprématie, mais parce que telle est sa vocation de ruminer et de dire sans cesse l'Évangile.
Ce présent ne peut être que le «temps de la conversion», le temps de la mystique. L'ère postchrétienne se terminait par ces phrases (p. 310): «Choisissez vous-même, venez ou ne venez pas, mais ne vous retournez pas, renoncez à tout jamais à retrouver ce monde que nous avons quitté. Et apprenez à mieux mesurer ce que signifie pour l'appel chrétien surgi voici bientôt deux mille ans cette situation éprouvante: une mise à nu et une mise à neuf de la « bonne nouvelle ». Le retour aux Écritures n'est jamais le retour au temps des Écritures, mais forme présente de nos rencontres». De manière plus lapidaire, É.P. adopte ici la phrase de Louis Veuillot: «Vous voyez ce qui meurt, vous ne voyez pas ce qui naît».
Le livre est dur, ne serait-ce que parce que le style entretien n'a pas la même continuité que l'exposé systématique, qui ne ménage pas les idées reçues, mais est sous-tendu par l'espérance. Or celle-ci ne compte-t-elle pas parmi celles qu'É.P. appelait il y a peu «l'invention seconde» du Christianisme, avec la foi et la charité (p. 277 du 14e tome de l'Histoire du Christianisme - cf. NRT 124 [2002] 317)? - B. Joassart, S.J.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80