Le Coran, la Bible et l'Orient ancien

M. Sfar
Religions - Recenseur : Jean Radermakers s.j.
Encore une «lecture laïque», mais qui, cette fois, interprète la religion islamique à travers la genèse et l'évolution de l'idée monothéiste issue du Moyen-Orient ancien. L'A. en est tunisien, vivant en exil à Paris, docteur en philosophie et diplômé en histoire. L'introduction nous fixe sur le propos: à partir de l'archéologie, mettre à jour les présupposés anthropologiques du Coran: un pouvoir sacré reconnu à Dieu, d'où l'humanisation du divin et la dévaluation de l'homme. L'étude définit la structure de l'institution royale, examine l'idéologie monothéiste présente dans le prophétisme et en considère la fonction limitée à la personne du prophète. Trois brefs essais sur l'ascension de Muhammad, la représentation d'Allah et les rapports entre religion coranique et manichéisme achèvent de faire de cet ouvrage un manifeste suggestif, mais aussi déstabilisant et provocateur.
L'A. part de la question du libre arbitre humain face à un Dieu souverain, maître des destinées, mais aussi tentateur et juge. Il analyse l'idéologie de la guerre à la lumière des sources mésopotamiennes comparées aux récits bibliques, avec un point d'orgue sur «création et jugement dernier». Il examine les rapports entre monothéisme et représentations idolâtres de l'Islam. Il interprète le prophétisme comme une justification théologique destinée à gommer la nature politique de «l'envoyé de Dieu», d'où le statut «angélique» du prophète (Jésus ou Muhammad). Il souligne l'importance du panthéon des divinités coraniques médiatrices entre le Dieu souverain et l'humanité livrée à elle-même. Analysant le despotisme des religions orientales, il scrute les traités de vassalité, dont on sait l'enjeu pour la théologie biblique de l'Alliance, la légalité religieuse et le rôle des scribes comme gardiens de la Loi dans le judaïsme et l'Islam.
Cet ouvrage savant manifeste l'esprit pénétrant de son A., habile à discerner le fil anthropologique dans l'élaboration théologique. Les uns diront: tentative iconoclaste de réduire Dieu à l'homme divinisé, en réduisant la révélation monothéiste à une réalité politique. D'autres, considérant le matériau anthropologique remué par l'A., y discerneront la vérité de l'économie divine, créatrice et salvatrice, à travers l'histoire de l'homme, qui a pris corps dans les sociétés moyen-orientales, dont la religion biblique et l'Islam ont hérité. Nous opterions pour cette seconde lecture, qui ne doit pas être celle de l'A. Ce qui impressionne, dans cet ouvrage, c'est la constance des modèles institutionnels que les hommes se donnent dans la quête du sens de leur existence et de la nature du monde divin. Ce qui est nouveau, c'est qu'un spécialiste de l'Islam reconnaisse que ces modèles ont été assimilés par le Coran.
Ce qui empêche finalement d'adhérer à la thèse de l'A., c'est sa perspective réductrice: faut-il réduire le religieux au politique, ou bien, à travers les représentations et les institutions du Moyen-Orient ancien, Dieu révèle-t-il progressivement quelque chose de son mystère? Ce qui manque dans ce livre, c'est de nous faire voir comment l'Amour divin se dévoile à travers les comportements de l'homme, en transcendant ses modes représentatifs et institutionnels. Lecture austère, qui suppose un lecteur averti. Peu de notes, une bibliographie succincte, beaucoup de notations intéressantes et suggestives. - J. Radermakers, S.J.

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