Un livre insolite qui nous fait plonger dans un double monde: celui
de la philosophie d'abord, avec son questionnement sur l'être et
sur l'existence de Dieu; celui du féminisme ensuite, qui nous met
en contact avec la perception féminine de l'être humain et celle de
la présence divine. Et cela, à partir d'une étude de l'A. sur un
livre mystique: Le miroir des âmes de Marguerite Porete, et
d'autres écrits de femmes du Moyen âge parlant de leur dialogue
avec Dieu. En outre, le style poétique de l'A., imagé, échappant
souvent à une froide rationalité, révèle un espace intérieur de
liberté où discrètement surgit la réalité de l'Amour. «Amour: cette
âme nage en l'océan de joie, c'est-à-dire en l'océan des délices
qui s'écoulent et ruissellent de la Divinité. Et ainsi nage-t-elle
et s'écoule-t-elle en joie, sans sentir aucune joie. Car elle
demeure en joie et joie demeure en elle…» (p. 17): citation de M.
Porete qui donne la mesure de ce type d'écriture. La lectrice ou le
lecteur, s'ils poursuivent leur lecture, perdront peu à peu leurs
repères habituels, et cela, dès l'introduction qui s'intitule «En
'vacance' pour toujours». Ensuite, le premier chapitre donne le
ton: «Je ne sais pas bien ce que j'appelle Dieu», et nous voilà
partis avec l'A. en quête: «Fragilité des commencements»,
«Théologie fabuleuse», «Dégager l'impossible», pour arriver à
«L'intelligence de l'amour». Les conditions de ce cheminement sont:
«Pénurie et passage» et «La médiation vivante» où elle évoque les
commencements du christianisme, avec Marie de Nazareth: «l'esprit
ouvert à l'écoute de l'autre, au-dedans-dehors d'elle» (p. 160),
puis avec Paul, dont elle retient le renversement du chemin de
Damas, avec la citation personnelle de 1 Co 1,28s.: «Dieu a aboli
ce qui est consistant et puissant pour pouvoir agir en ce monde et
y faire entrer la vie» (p. 161).
Bref, le Dieu des femmes est-il Dieu tel qu'il existe ou tel
qu'elles se l'imaginent? Mais peut-on parler des «femmes» en
général? Et comment perçoivent-elles Dieu? Et est-ce Dieu qu'elles
perçoivent ainsi, ou bien une intuition d'elles-mêmes qu'elles
divinisent? Toutes sortes de questions qui se pressent en nos
esprits, car l'A., philosophe italienne et féministe de surcroît,
auteure de plusieurs livres et de nombreux articles sur les femmes,
mêle souvent les deux approches.
Livre étrange, fascinant et désespérant tout ensemble, car il donne
l'impression d'une danse sans fin qui provoque le tournis. Le Dieu
des femmes nous sature et nous échappe, comme cet ouvrage qui en
parle, et que B. Van Meenen tente de nous expliquer en reprenant
une phrase de l'A.: «Il est bien vrai que nous, les femmes, nous
prenons avec Dieu une liberté à laquelle les hommes ne songent même
pas» (p. 165, citant p. 61). Et si le Dieu des femmes et celui des
hommes était le même? Celui à la ressemblance duquel nous sommes
créés, les unes et les autres? - J. Radermakers sj