Les frontières du droit. Quelle justice pour les migrants ?, préf. J. Vignon

Xavier Dijon s.j.
Morale et droit - Recenseur : Benoît Bourgine

L’ouvrage de Xavier Dijon se saisit d’un des phénomènes majeurs de la mondialisation, la migration, sous l’angle de la philosophie du droit et de l’éthique tant philosophique que théologique. Quels sont les droits que les migrants peuvent légitimement revendiquer auprès des sociétés qui sont déterminées au respect des droits de l’homme ? La recherche ample et documentée est structurée en deux parties. La première décrit les sources philosophiques du droit régissant les migrations et la raison d’être des frontières, tandis que la seconde réfléchit sur un registre philosophique puis théologique aux fondements de la justice migratoire, avant d’analyser le pacte mondial sur les migrations. L’enquête commence avec Aristote, Thomas d’Aquin, Francisco de Vitoria, Hugo Grotius qui représentent autant de jalons d’une philosophie jusnaturaliste du droit fondée sur la sociabilité humaine. Au milieu des temps modernes, la perspective place les droits de l’individu au centre et fait prévaloir la notion de contrat social entre les sociétaires. John Rawls peut ainsi situer le problème de l’accueil des migrants à un double niveau contractuel, celui en vigueur dans le pays d’accueil, d’une part, celui de la justice internationale, d’autre part. Deux auteurs, Joseph H. Carens et Martha Nussbaum, estiment que la position de Rawls ne fait pas suffisamment justice à ce qui est dû aux migrants. Pour eux, il convient de se situer d’emblée au niveau d’une justice transfrontière de manière à garantir une position réellement universaliste, protectrice des droits des personnes face à l’arbitraire des États. Que devient alors la particularité politique de l’État qui garantit l’effectivité de l’égalité, de la liberté et de la fraternité entre les citoyens ? Michael Walzer, Ernest Renan, Maurice Blondel, Gaston Fessard et Pierre Manent rappellent, quant à eux, qu’on ne saurait faire prévaloir une conception abstraite de la justice internationale au mépris du particulier des réalités de la « communauté de caractère », de la « nation » ou de la « patrie ». L’énigme de la frontière doit être repensée entre libéralisme et cosmopolitisme. La seconde partie de l’ouvrage propose une réflexion fondamentale sur les questions exposées dans la première partie : sources du droit, raison des frontières, avant de recourir aux lumières de la raison théologique. La discussion serrée de ces pages permet d’établir l’incapacité du modèle conventionnel à rendre compte de l’institution de la société et, corrélativement, la nécessité d’intégrer aux sources du droit le fondement et la fin énoncés par le droit naturel, à savoir l’aspiration de chacun à la vie et à une vie en société, sous la modalité d’une tension entre éthique et politique. La problématique de la frontière appelle une réflexion spécifique de manière à honorer le devoir de justice vis-à-vis des migrants. Le récit biblique et la réflexion théologique recommandent une position d’équilibre entre particularité de l’entité politique et universalité des droits humains, même si les auteurs se réclamant du christianisme proposent des positions assez contrastées. Les derniers développements de l’ouvrage sont consacrés à l’analyse du Pacte mondial sur les migrations (Global Compact for Migration) à l’initiative de l’ONU. Le problème est envisagé sous ses différents aspects de manière à garantir des migrations sûres, ordonnées et régulières.

L’essai dont l’A. gratifie la recherche représente une contribution majeure au problème de la justice migratoire à raison des clarifications indispensables qu’il apporte et de l’équilibre des positionnements qu’il propose. Son apport se situe au niveau d’une réflexion fondamentale sur les conceptions du droit permettant de dégager des solutions véritablement justes et humaines face au défi des migrations, tant du point de vue des législations nationales que du point de vue du droit international. La recherche d’une politique juste vis-à-vis des migrants commence, en effet, par une clarification des principes sur lesquels se fonde l’obligation d’asile et d’accueil des étrangers à charge des États. Pour compléter cette somme riche et articulée, voire en nuancer le positionnement, il conviendrait sans doute de croiser les données issues de disciplines telles que la sociologie (le projet de société multiculturelle fait-il encore rêver à l’heure de la fragmentation sociale aggravée par le séparatisme communautaire et le terrorisme islamiste ?) ou la démographie (à l’horizon 2050 où la population du continent africain aura atteint deux milliards et demi, quelle attitude recommander à l’Europe, conformément à une éthique de responsabilité ?), afin de mesurer la résistance que le réel oppose aux principes. — B. Bourgine

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