Les personnages dans l'évangile de Jean. Miroir pour une christologie narrative

Alain Marchadour
Écriture Sainte - Recenseur : Didier Luciani
Constater que les évangiles sont tous construits autour de Jésus relève de l'évidence, mais n'autorise cependant pas à conclure qu'ils sont de simples «biographies». La visée théologique de ces écrits, leur enracinement dans une tradition communautaire, leur usage cultuel et leur fonction kérygmatique contribuent à forger ce genre littéraire unique qu'il est permis de qualifier de «christologie narrative». La prise en compte assez récente de cette dimension narrative et de tout ce qui en découle passe nécessairement, à un moment ou à un autre, par l'étude des personnages (characterization). Pour le quatrième évangile, dont le projet exprimé est de conduire le lecteur à la foi au Christ (Jn 20,31), une voie royale s'impose: s'attacher au seul héros du récit (Jésus) et voir comment l'intrigue se déployant en lien avec celui-ci permet d'établir une «carte d'identité» ou - pour le dire en termes plus théologiques - conduit à l'élaboration d'une christologie spécifiquement johannique. Mais un autre chemin existe: on peut aussi s'intéresser aux nombreux personnages secondaires (seconds rôles ou simples figurants) qui, d'une manière ou d'une autre, tout au long du récit, vont rencontrer et, partant, vont devoir se situer face au protagoniste central.
C'est cette seconde voie qu'a choisie A. Marchadour dans un ouvrage à la fois simple et stimulant qui présente, tour à tour et sans faire de distinction entre acteur anonyme et acteur nommé, Jean-Baptiste, Marie, Pierre, Nicodème, la Samaritaine, l'aveugle-né, Lazare et ses soeurs, Marie de Magdala, Thomas, Pilate, les Juifs et le disciple bien-aimé. Cette approche n'est pas seulement légitime; elle est indispensable dans la mesure où l'intrigue de révélation du récit total fait dépendre la connaissance de Jésus de l'accueil plus ou moins franc réservé par ces seconds rôles au mystère de sa personne. Certes le lecteur est informé depuis le début, par le prologue et son concentré de titulatures, que Jésus est Logos, Fils de Dieu, Messie, roi d'Israël…, mais il doit encore apprendre la manière dont ce Jésus réalise et accomplit, de façon personnelle et unique, le programme rattaché à ces titres et aux modèles anciens qu'ils véhiculent, que ceux-ci soient empruntés à l'univers biblique ou à d'autres sphères culturelles. En ce sens, chaque acteur, par la position qu'il adopte et par le regard qu'il pose sur la figure centrale du récit, apporte au lecteur, positivement ou en creux, un élément forcément partiel mais non moins décisif pour comprendre ce qu'est la véritable foi et à qui il la doit. Chacun, qu'il le veuille ou non, reflète comme dans un miroir (d'où le sous-titre du livre) une parcelle de la lumière qui irradie de la présence du Christ.
La construction des personnages secondaires et leur (non-)reconnaissance participent ainsi et sont inséparables de la personnification du Christ lui-même. En faisant défiler devant nous la plupart de ces seconds rôles, le livre de Marchadour illustre à merveille cette idée forte: seul le jeu des miroirs donnera au lecteur de percevoir l'éclat kaléidoscopique de celui qui se présente comme la lumière du monde. On peut toutefois regretter qu'en choisissant le plan fixe sur chacun des personnages pris séparément, cette galerie de portraits occulte quelque peu la dynamique du macro-récit, renforce les stéréotypes et en vienne à ignorer un fait fondamental: la liberté du lecteur de s'identifier à tel ou tel se joue aussi dans la manière très subtile que le narrateur a de croiser le destin de ses personnages, parfois même sans qu'ils ne se rencontrent. - D. Luciani.

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