Les personnages dans l'évangile de Jean. Miroir pour une christologie narrative
Alain MarchadourÉcriture Sainte - Recenseur : Didier Luciani
C'est cette seconde voie qu'a choisie A. Marchadour dans un ouvrage à la fois simple et stimulant qui présente, tour à tour et sans faire de distinction entre acteur anonyme et acteur nommé, Jean-Baptiste, Marie, Pierre, Nicodème, la Samaritaine, l'aveugle-né, Lazare et ses soeurs, Marie de Magdala, Thomas, Pilate, les Juifs et le disciple bien-aimé. Cette approche n'est pas seulement légitime; elle est indispensable dans la mesure où l'intrigue de révélation du récit total fait dépendre la connaissance de Jésus de l'accueil plus ou moins franc réservé par ces seconds rôles au mystère de sa personne. Certes le lecteur est informé depuis le début, par le prologue et son concentré de titulatures, que Jésus est Logos, Fils de Dieu, Messie, roi d'Israël…, mais il doit encore apprendre la manière dont ce Jésus réalise et accomplit, de façon personnelle et unique, le programme rattaché à ces titres et aux modèles anciens qu'ils véhiculent, que ceux-ci soient empruntés à l'univers biblique ou à d'autres sphères culturelles. En ce sens, chaque acteur, par la position qu'il adopte et par le regard qu'il pose sur la figure centrale du récit, apporte au lecteur, positivement ou en creux, un élément forcément partiel mais non moins décisif pour comprendre ce qu'est la véritable foi et à qui il la doit. Chacun, qu'il le veuille ou non, reflète comme dans un miroir (d'où le sous-titre du livre) une parcelle de la lumière qui irradie de la présence du Christ.
La construction des personnages secondaires et leur (non-)reconnaissance participent ainsi et sont inséparables de la personnification du Christ lui-même. En faisant défiler devant nous la plupart de ces seconds rôles, le livre de Marchadour illustre à merveille cette idée forte: seul le jeu des miroirs donnera au lecteur de percevoir l'éclat kaléidoscopique de celui qui se présente comme la lumière du monde. On peut toutefois regretter qu'en choisissant le plan fixe sur chacun des personnages pris séparément, cette galerie de portraits occulte quelque peu la dynamique du macro-récit, renforce les stéréotypes et en vienne à ignorer un fait fondamental: la liberté du lecteur de s'identifier à tel ou tel se joue aussi dans la manière très subtile que le narrateur a de croiser le destin de ses personnages, parfois même sans qu'ils ne se rencontrent. - D. Luciani.