Les traités du célèbre mystique allemand du XIIIe siècle obtiennent
de plus en plus de succès à mesure qu'ils sont arrachés à l'oubli.
Voici l'ouvrage d'un homme qui s'est efforcé de pénétrer la
substance d'un texte majeur du maître rhénan, le Commentaire du
livre de l'Exode. Il lui a consacré sa thèse de doctorat d'État en
philosophie soutenue en 1989; nous l'avons sous les yeux et elle
nous émerveille, à la fois en raison du respect avec lequel l'A.
aborde ce grand maître, et de l'intelligence fine et aiguë avec
laquelle il sait nous faire pénétrer à l'intime de cette pensée
fulgurante, d'une audace qui fit trembler les autorités
ecclésiastiques de son temps. Comment procède l'A.? Après une
introduction sur le sens de sa recherche, puis sur la vie et
l'oeuvre de Maître Eckhart, il élabore sa thèse en trois étapes. La
1ère «Le mouvement du langage» part du commentaire sur l'Exode:
passage du langage scripturaire et dialectique dans le dialogue
AT/NT au langage anthropologique et théologique, puis au langage
métaphysique, relisant à sa manière philosophico-mystique les
quatre sens de l'Écriture. Un langage qui progressivement s'élève
au spirituel (p. 35-90). Le deuxième s'intitule «Le dynamisme de
l'Absolu-principe dans la métaphysique de Maître Eckhart»; elle
généralise l'interprétation du commentaire de l'Exode centrée sur
le Nom divin, à partir de la notion de Logos, le Verbe de Dieu fait
chair, c'est-à-dire langage humain. L'exposé se fait en trois
vagues: l'Absolu et l'Être, l'Absolu et l'Un, l'Absolu et
l'Intellect. L'A. fait le détour par saint Thomas et le sens de la
création, pour établir que le Verbe est le fond substantiel de
toutes choses (p. 91-200). La troisième étape en vient à «La percée
de l'âme au sein de la Déité comme expression mystique de la
métaphysique de Maître Eckhart»; elle fait percevoir comment Dieu
se donne à l'âme humaine jusqu'à s'identifier avec elle: l'âme en
ses puissances, l'âme et son rapport au Verbe, la percée humaine
dans la Déité et la vérité de l'union mystique. La conclusion
générale consiste en une envolée magistrale récapitulative. Le
commentaire de l'Exode demeure la référence centrale avec la
révélation du Nom; l'A. esquisse une doctrine qui emprunte à
l'exégèse, la théologie, la métaphysique et la spiritualité, à
partir de sources arabes, chrétiennes, juives et païennes: Dieu est
en nous parce que nous sommes de Dieu. Le principe d'existence de
chaque être est le Verbe. L'A. termine son ouvrage par ce résumé
auquel il joint cinq questions non élucidées qu'il pose au Maître
rhénan.
Les mystiques philosophes ou théologiens y puiseront une
substantielle nourriture. La lecture est aisée mais le contenu est
difficile; il faut s'y reprendre plusieurs fois pour arriver à
comprendre. Ce livre est un chef d'oeuvre auquel les spécialistes
reviendront souvent. - J. Radermakers sj