Si la réception historique de la figure de Moïse, contrairement à
celle d'autres grands personnages, n'a jamais vraiment connu de
période de déclin ou de traversée du désert, il semble que l'époque
présente soit particulièrement faste et glorieuse pour ce héros
biblique. On pense notamment à la récente et remarquable exposition
« Moïse, figure d'un prophète » au Musée d'art et
d'histoire du Judaïsme (Paris), avec le splendide catalogue qui
l'accompagne, ou au dernier livre de Thomas Römer (Moïse en
version originale, Paris, Labor et Fides, 2015), fruit des
cours que cet exégète donne depuis deux ans, à guichet fermé, au
Collège de France. L'ouvrage de Jean-Christophe Attias, professeur
à l'Ephe(Sorbonne) a ceci de particulier et de paradoxal qu'il
participe à cet engouement actuel en présentant non pas l'icône
lisse d'un surhomme un peu terrifiant et sans défaut, mais l'image
du Moïse vulnérable, à l'identité et au nom mal assurés
(Ex 1-2) ; bègue (Ex 4,10) ; incirconcis
(Ex 4,24-26) ; victime de découragement jusqu'à désirer
mourir (Nb 11,15) ; humble (Nb 12,3), mais pas trop
pour ne pas verser dans l'hagiographie ; avec même une part de
féminité assumée (Nb 11,15 et Dt 5,24 selon une lecture
attentive du texte hébreu) ; inattentif à l'ordre de Dieu
(Nb 20,8) ; et mourant, finalement, d'une mort commune à
tous dans une terre étrangère (Dt 34). Pour Attias, ce Moïse
tout à la fois personnel et pétri d'Écriture et de traditions
interroge aussi le judaïsme et l'esprit de notre temps :
entre un judaïsme « d'Abraham » fondé sur l'ethnicité et
un judaïsme « de Josué » idolâtrant la terre, il
représente en effet, selon l'A., « un judaïsme de l'esprit, de
l'errance et de l'inachèvement » (p. 247) qui ose
« recevoir et transmettre. Écouter, quand bien même le message
serait confus. Questionner, avec insistance parfois, et quand bien
même il n'y aurait pas de réponse. Et inventer, oui, quand il le
faut » (p. 250-251). - D. Luciani