Passons sur l’autre rive. Vers une vie religieuse renouvelée

François Bustillo Card.
Spiritualité - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.

La première phrase fixe le propos : « La vie religieuse se perfectionne de crise en crise et de conversion en conversion. Elle est appelée à évoluer ». Ne serait-ce pas une manière de parler de l’aggiornamento conciliaire ? L’A. nous dit son espérance et les conditions nécessaires pour passer sur l’autre rive. Comment développer à nouveau le don prophétique que contient la vie religieuse ? Comment échapper à la dialectique confort-effort pour changer de vie ? Comment faire pour que la vie fraternelle aimable soit le nouvel écosystème durable ? Passer sur l’autre rive, ce n’est pas fuir « une dure réalité ou chercher une rive plus douce ; il s’agit d’écouter la voix de Jésus qui pousse à une mobilité charismatique audacieuse » (p. 10).

La réflexion et les observations de l’A. sont déployées en 4 chapitres. Il s’agit d’abord de réhumaniser la société (chap. 1) et donc d’être dans ce monde qui a beaucoup changé. Le religieux est appelé à le regarder avec bienveillance et chasteté sans désirer le dominer, mais en discernant ce qui s’y passe. L’Amour est « le grand absent de notre vie sociale et ecclésiale » (p. 14). Comment le rendre présent ? L’A. attire notre attention sur « la société du faire », sur « la pression pour réussir », sur la « dépendance du plaire », sur « l’ambition de durer », sur « la jeunesse désarticulée » : ces traits sont à la fois des réalités, des défis, des lieux où l’originalité du christianisme peut apparaître.

Mais la vie religieuse n’est-elle pas le lieu même d’une sécularisation ? D’un désenchantement ? D’un découragement ? Comment décrire la vie de l’Église en Occident aujourd’hui sinon par des visions à la fois réalistes et pessimistes (p. 62-64) ? Face à la sécularisation, il convient de réveiller la foi : une conversion est nécessaire. Il faut passer sur l’autre rive (Mc 4,35). Dans ce but, oser jeter un regard responsable sur nos vies et nos communautés, dénoncer les affadissements et les « distractions », mener le bon combat contre l’ennui et la vie pour retrouver le goût de la vie religieuse elle-même, affronter la question des vocations non pas par le déni, ou bien sur le mode du management ou sur l’adaptation aux us et coutumes modernes. L’A. nous convie au « désir d’authenticité », au radicalisme des vœux et à fuir les œuvres de prestige en proclamant Jésus Christ son nom et pas le nôtre. C’est tout un chemin aussi de distinguer « radicalité et rigidité », « fidélité et intransigeance », « réforme ou formalisme », « réactivité et créativité », « individualisme et obéissance »… À travers ces binômes, l’A. nous aide à mettre des mots sur des intentions, des attitudes, des sentiments qui traversent les pensées et les cœurs des religieux et de leurs diverses communautés et organes de gouvernement. La conclusion (provisoire ?) est de ne pas s’installer dans une logique de « conservation ». Nous ne sommes pas appelés à devenir des musées somptueux, mais à devenir des hommes libres de notre temps : de nouveaux prophètes.

Le chap. 3 est plus bref et il vise la formation : à la pédagogie, aux nouveaux points de vigilance à énoncer, aux carrefours décisionnels pour la liberté individuelle et communautaire. Comment entrer dans une véritable éducation à la liberté et éviter l’endoctrinement ? Comment obéir en vérité et ne pas vivre « sous domination » ? Comment découvrir la vérité d’une vocation et éviter toute séduction ? Pourquoi refuser une demande ou comment éviter toute discrimination ? Ces étapes de formation sont centrées sur la liberté spirituelle de tous : formateurs et candidats. Les options sont clairement exposées. Peut-être s’agirait-il de développer ce qu’est la liberté chrétienne et les conditions pour sortir de divers types d’aliénation. Une référence plus explicite à la pratique ecclésiale des Exercices spirituels de saint Ignace serait un enrichissement.

Le dernier chapitre est « un hymne à l’amour ». L’amour est la substance de la vie intérieure de tout homme, mais du religieux particulièrement, car il n’a pas d’autres raisons de vivre. Cette voie de l’amour comme sève de vie n’est pas un concept : elle dit le mystère de l’incarnation. Le religieux est appelé à témoigner du choix pour Dieu et pour les autres. Cet amour, comme le dit saint Paul (1 Co 13,4-7) est folie concrète qui change tout, particulièrement les mentalités : aimer le frère tel qu’il est et tel qu’il est devenu. La croix existe dans la vie de chacun : elle ne devient glorieuse que par le Christ et par le regard fraternel. Le « principe de courtoisie », cher à François d’Assise, se vit dans la vie ordinaire et unit les personnes. Cette courtoisie est amabilité avec tous les hommes rencontrés ou accueillis. Dans la vie relationnelle, le respect place la charité dans la durée et la prise de conscience permanente de la dignité des frères baptisés. Le frère tel qu’il est, est aimable de par Dieu. Cet amour est chaste : non finalisé à l’intérêt personnel et centré sur la miséricorde, sans juger ni condamner. Tel est un nouveau trait de l’ascèse. La liberté et la tolérance ne sont pas seulement à prêcher, mais à pratiquer surtout vis-à-vis des « prochains » les plus proches. L’amour passe par le pardon : c’est ainsi qu’il est libérateur. Le don de soi se redouble toujours en pardon. Passer sur l’autre rive, c’est vivre dans cette joie renouvelée de l’amour-pardon.

Un livre fort riche, qui interpelle la vie religieuse d’aujourd’hui sous le ton de la bienveillance franciscaine. — A.Mt.

newsletter


la revue


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80