Qu'est-ce qu'une famille? Suivi de « La Transcendance en culottes »

Fabrice Hadjadj
Morale et droit - Recenseur : Alain Mattheeuws s.j.
Sous l'apparence d'une expression dont il s'excuse souvent ou d'un brillant qu'on admire, les livres de l'auteur ne laissent jamais indifférent. Ils aident à «réfléchir», donc à prendre du recul dans l'espace et dans le temps! Ils nous rendent à notre dignité. Sans user le langage du Magistère (sauf celui de Vatican II), mais s'enracinant dans l'Écriture et la tradition, surtout métaphysique, l'auteur nous aide à prendre conscience de l'essence d'une famille. La famille est cet essentiel, ce fondement du vivre ensemble, du politique et de l'économique, de l'existence relationnelle. C'est une racine, une souche, un socle qui ne se prouve pas mais s'éprouve. La raisonphilosophique en prend conscience sans chercher un autre fondement que la chair de l'homme, de la femme, de l'enfant. Au-delà de tout calcul, il y a le don de la vie. Ce premier chapitre nous montre, avec des fulgurances langagières, l'illusion de vouloir déconstruire ce qui est l'essentiel. La famille n'est pas un foyer clos, mais l'institution anarchiste par excellence. Elle est antérieure à l'idéologie et à l'État. Elle est inscrite dans le désir qui unit l'homme et la femme et dont surgit un petit d'homme qui, de toujours à toujours, est une «innovation» par rapport à tout autre désir extérieur à sa naissance. Puissance, légèreté, actualité, pénétration d'une réflexion qui va au fond des «culottes» car elle est imprégnée d'un réalisme qui cherche le vrai bien.
Le deuxième chapitre - La Transcendance en culottes - est encore plus éclairant dans son classicisme postmoderne. Car l'esprit surgit à partir de ce qu'il n'est pas: le corps. Et l'intelligence humaine ne se comprend qu'en assumant l'altérité, jusqu'en la sexualité et la différence qu'elle inscrit dans les corps et dans les relations. Le «nombril et le sexe» sont la signature de la différence des générations qui est aussi l'horizon de toute différence sexuelle. La réflexion mène aux extrêmes pour bien montrer les enjeux: interdit de l'inceste, principe de causalité, désir sexuel et rigueur intellectuelle, le dimorphisme sexuel et l'identité sexuelle. Il est «illusoire», idéaliste ou idéologique de chercher à nier les asymétries du réel qui ne sont pas que «naturelles»: elles ont un sens que l'intelligence est apte à percevoir et à accueillir librement. Le style même montre l'âpreté du combat spirituel (aux deux sens du mot) en jeu.
Le troisième chapitre nous mène dans une comparaison entre la tablette électronique et la table familiale. Ce qui paraît être des jeux de mots d'étudiants, des propos de tables ou des conflits de génération un peu mondains montre soudain son actualité et sa thèse à la fin du développement. Au-delà du libéralisme et du communisme, une nouvelle idéologie est plus radicale: le technicisme. La crise est «bien plus radicale que nous ne voulons l'admettre (…). Désormais, nous ne manquons pas de morale, mais de moeurs» (p. 153). Les idées ne manquent pas: elles sont folles. «Il ne s'agit pas de devenir meilleur, mais de rester simplement humain» (p. 154). Ici, encore, l'auteur fait jaillir un discernement chez le lecteur.
Au chapitre 4, intitulé «Faire naître», on trouvera la comparaison poussée jusqu'à l'absurde entre la condition de l'homme qui est né, et voudrait «dé-naître». Au-delà du naturalisme et du culturalisme, l'auteur montre le glissement de la maïeutique à Matrix et l'apparition de l'univers du Meccano sociopolitique, du contrat social comme refus de la naissance. Au fond, nous vivons à l'époque d'un profond mépris de la matière qui n'a plus de sens ni en soi, ni en dehors de celui que lui donne tel ou tel individu. Au fil de l'argumentation, les questions bioéthiques sont «situées» et deux thèses apparaissent: le nouveau-né est plus nouveau que toute innovation car, par la naissance, nous sommes ouverts à l'autre à partir de l'autre. Ainsi le surhomme rêvé, imaginé, en train de se construire, sera de facto infrahumain. Déconstruire l'humanité n'est possible qu'en construisant son simulacre.
En annexe, on trouvera la réponse de l'auteur à un texte de Michel Serres à propos de la «sainte famille» (Études 418, 2013). Ferme dialogue où un lecteur un peu averti trouvera exprimé le contraste de deux intelligences qui font un usage différent de leur liberté en herméneutique.- A. Mattheeuws sj

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