Il n’est pas commun qu’un chartreux, prieur de surcroît, publie et signe nommément un livre, que son écrit, fruit de deux années de travail, soit le fruit d’une collaboration avec plusieurs personnes et que le secrétaire de la Congrégation pour la vie consacrée et les sociétés de vie apostolique le préface. L’importance et l’urgence du sujet comme la qualité du travail offert au public justifient ces dérogations à la retenue habituelle. Comme le titre permet de le comprendre, Dysmas de Lassus affronte une question d’une actualité brûlante : les dérives de la vie religieuse, les abus qui en découlent et les questions que cela suscite. Ces actes extrêmement blessants qui défraient la chronique exigent de l’Église une profonde conversion et une réflexion renouvelée car c’est la vie chrétienne en ce qu’elle a d’excellent qui est ainsi mise à mal. Pour l’A., « il faut remonter aux causes des dérives constatées, essayer de comprendre les processus défectueux, les risques existants, les limites à ne pas dépasser, les sécurités à mettre en place, les formations à assurer, les régulations institutionnelles à instaurer ou à améliorer » (p. 19).

Dans le premier chapitre, l’A. rappelle avec raison la beauté du désir profond de la vie religieuse, à savoir un amour passionné qui, à l’image du Christ, veut aller jusqu’au bout, une sage et sainte folie. Il serait en effet dommage que, comme les avions, les terribles crashs de la vie religieuse en viennent à nier sa grandeur. S’engager dans cette voie splendide et exigeante revient à marcher sur une ligne de crête. L’A. en dessine les contours et les types de dérapages possibles. Il explique les dérives sectaires en décrivant entre autres les phénomènes d’emprises et rappelle les moyens de l’éviter : la sagesse, la connexion des vertus. Le deuxième chapitre brosse la mise en place d’une dérive sectaire et ses mécanismes principaux, ce qui conduit, au chapitre 3, à traiter la relation entre charisme et institution. Les chapitres 4 à 8 abordent respectivement plusieurs dimensions essentielles de la vie religieuse qui, mal comprises ou utilisées, peuvent conduire à des abus : la vie commune au service de laquelle se trouve l’autorité, le rapport au monde extérieur, l’obéissance et spécialement son troisième degré, l’ascèse et le renoncement et enfin l’accompagnement spirituel. Chaque fois, tout en montrant la valeur et la pertinence de chacun de ces moyens pour marcher vers la sainteté, l’A. montre les dérives propres et explique comment vivre sainement la chose. Aux chapitres 9 et 10, l’A. traite à proprement parler des abus, spirituel puis sexuel. Là aussi, le prieur met en lumière les mécanismes particulièrement pervers dans la mesure où ils se drapent de justifications spirituelles.

Il propose quelques remèdes. L’une des forces du livre est de pointer l’abus spirituel sur lequel l’abus sexuel fait fond et de l’analyser. Le chapitre 11 considère les victimes et souligne fortement combien il est essentiel de les mettre au centre et d’éviter le déni. L’avant-dernier chapitre offre quelques éléments de redressement et de prévention. Enfin, le dernier rappelle dans d’innombrables communautés la discrète beauté de la vie religieuse qui rayonne doucement et paisiblement avec tant de force formant ainsi une inclusion avec le premier chapitre. Truffé de témoignages de victimes, enrichi de citations de nombreux ouvrages sur le même sujet, le livre offre, sans faire la leçon, une réflexion profonde et lucide sur la vie religieuse ainsi qu’un discernement d’une grande clarté, d’un rare équilibre. Sa pertinence déborde la seule vie religieuse. Nul doute qu’il rendra de grands services aux communautés religieuses, aux chrétiens, à toute l’Église. — B. de Baenst