Qui ne se réjouira de voir, consacré à Thomas d'Aquin, un volume de
ces prestigieux Cahiers? On en sera d'autant plus heureux que,
comme le dit le P. Th.-D. Humbrecht, son maître d'oeuvre, on le
présente «dans le débat philosophique contemporain». Il ne s'agit
pourtant pas d'oublier qu'il fut, au premier chef, un théologien.
Cependant un ouvrage qui ferait la synthèse de sa vie, de sa
philosophie et de sa théologie serait encore aujourd'hui prématuré.
En ce qui concerne sa philosophie, on en perçoit mieux désormais
toute l'originalité. Il n'a pas répété Aristote, mais l'a intégré
pour le modifier à son gré. Il a fait sa place à la tradition
néoplatonicienne qu'il a transformée en s'y confrontant. Le P
Th.-D. Humbrecht, qui fait ces observations, y ajoute quelques
directives pour une juste interprétation du Docteur Angélique. À
coté du travail d'explication, il y a celui de l'interprétation
proprement dite. Celle-ci peut se développer selon trois
directions: une volonté de prolonger la pensée de saint Thomas, une
volonté de l'actualiser, une volonté de « réduction », au
sens phénoménologique d'une compréhension de sa visée. Le présent
ouvrage recueille les travaux de nombreux chercheurs dont les
approches, « diverses et complémentaires », sont unifiées
par la passion portée à leur objet (p. 17).La métaphysique,
l'éthique, la théologie philosophique y sont largement abordées,
mais non la logique et la philosophie de la nature. On ne peut
résumer cette vingtaine d'études, on ne peut qu'en indiquer
l'intérêt par quelques coups de sonde apéritifs. O. Boulnois
remarque que la définition avicénienne de la métaphysique a
beaucoup inspiré saint Thomas. On découvre en effet chez lui une
pensée cherchant à élaborer une dimension « ontologique »
avant la lettre. Dès l'époque de son Commentaire du De Trinitate de
Boèce, Thomas estimait que Dieu est considéré en métaphysique parce
qu'il est le principe des étants. Du coup, il intégrait une
dimension aristotélicienne que le néoplatonisme de Boèce ignorait.
Avec Boèce, Thomas affirme que la métaphysique porte sur Dieu, mais
il intègre Avicenne: la métaphysique a pour sujet l'étant, mais le
Dieu qu'elle étudie ne peut l'être que comme le principe de cet
étant. Michel Nodé-Langlois nous aide, pour sa part, à poursuivre
notre réflexion dans cette direction. Certes la métaphysique
thomasienne est une philosophie de l'être, mais plus encore elle
est une « métaphysique de la création ». Quant au P.
Th.-M. Hamonic, il montre que, pour Thomas, le premier principe de
la morale « il faut faire et poursuivre le bien et éviter le
mal » trouve, par le biais du principe « il faut suivre
la raison », son explicitation la plus profonde dans le double
précepte de l'amour de Dieu et du prochain. Ce ne sont là que
quelques exemples, parmi une multitude d'autres possibles, qui
montrent que le présent volume peut être regardé comme une étape
importante dans la marche vers « le livre qui fera un jour la
synthèse de la philosophie et de la théologie de saint Thomas
d'Aquin » (p. 19). Mais en attendant ce bonheur, le lecteur
fatigué se délassera avec les « Petites miettes de
philosophie » où F.-X. Putallaz joint au sérieux de ses
analyses une manière pétillante de « donner de l'allant »
à des textes qui n'ont pas retenu l'attention des spécialistes. -
H. Jacobs sj