Le Père Joseph Wresinski (1917-1988). Sacerdoce et amour des pauvres, préf. Card. Etchegaray, postf. J. Vanier. Éd. augmentée grâce aux nouveaux documents archivés au Centre Joseph-Wresinski
Thierry Monfils s.j.Teologia - reviewer : François Odinet
Reprenant un ouvrage paru en 1994 mais en l'enrichissant d'écrits de Joseph Wresinski (J.W.) qui sont devenus accessibles, l'A. offre une somme articulée en 2 parties. La première se propose de synthétiser le projet de J.W., ce que l'A. nomme « une pratique chrétienne dans un projet de civilisation ». Au rappel de la naissance et de la croissance des intuitions de J.W. et leur concrétisation dans le mouvement ATD Quart Monde, succède une analyse des points saillants de la spiritualité sacerdotale de J.W. Une première définition du sacerdoce, dans son mouvement descendant et ascendant (p. 124-129), la clôture.
La seconde partie déploie la théologie du sacerdoce de J.W. : celui-ci, prêtre, a vécu son ministère au service du Christ et des pauvres comme en un seul mouvement ; il a compris le service des pauvres comme un service de Dieu et, par là, comme un ministère sacerdotal qui peut être exercé par tout homme. La pensée sacerdotale de J.W. se complexifie lorsqu'il affirme un sacerdoce des pauvres : reconnus simultanément médiateurs dans le projet de Dieu pour l'unification de l'humanité, et maîtres pour tout homme de bonne volonté, les pauvres sont dits prêtres par analogie avec le sacerdoce du Christ, des ministres ordonnés, des consacrés et de tout homme.
L'ouvrage vaut d'abord par la richesse de ses références (on y entend beaucoup la voix de J.W., dans des prises de parole de tous types). Il vaut plus encore par sa capacité à se tenir aux frontières de la théologie du sacerdoce, tout en s'appuyant sur ses sources classiques, pour étayer des affirmations qui la renouvellent. Ainsi, il articule l'interconfessionnalité d'ATD Quart Monde, fondé par un prêtre, avec la mission sacerdotale de l'Église (1re partie). Il parvient à penser un sacerdoce des pauvres et un sacerdoce humain « dans la dynamique du salut initiée par l'amour de Dieu pour les plus pauvres » (p. 642). Pour cela, il articule la définition du sacerdoce non seulement à l'unique grand prêtre qu'est le Christ, mais aussi au Royaume de Dieu, plutôt qu'à la seule Église. Cette réélaboration, qui n'est pas sans lien avec la mise en regard d'ATD et de l'Église, est de grande importance. Elle permet au passage une caractérisation des prêtres ordonnés comme des « serviteurs de la misère » à la suite du Christ, ami des pauvres et intercesseur.
La pensée est riche, foisonnante même, et revient souvent méditer les mêmes questions tout en introduisant des variations ; en cela, l'A. suit en acte la manière dont se déployait la pensée de J.W. Par cette recherche, il parvient à habiter sereinement les tensions théologiques ouvertes par l'oeuvre de J.W., et surtout à les rendre fécondes en prenant au sérieux la manière dont Dieu enseigne l'Église par les pauvres. - F. Odinet