Marie. Un parcours dogmatique

D. Cerbelaud
Teologia - reviewer : Jean Radermakers s.j.
Un nouveau volume de mariologie! L'A., dominicain, professeur de théologie à l'Université catholique de Lyon, nous a déjà parlé de l'intériorité, où se découvre «Le Dieu caché» (Cerf, 1983), des «Saints mystères» (cf. NRT 111 [1989] 992), et plus récemment d'une théologie chrétienne en dialogue avec Israël: «Écouter Israël» (Cerf, 1995; cf. NRT 117 [1995] 927). Il inaugure ici une trilogie intitulée «Figures frontalières». D'emblée, l'A. détermine son propos: nous éclairer sur l'élaboration du dogme marial qui fait l'objet de recherches modernes et plonge ses racines jusque dans l'âge patristique. Il voudrait nous en conter l'histoire mouvementée à travers les doctrines, les sensibilités, les défenses, les prises de position, les exaltations qui en jalonnent le déroulement séculaire, avec un aspect souvent passionnel. Au-delà de la manière dont s'est déroulée cette élaboration, l'A. entretient son lecteur des raisons pour lesquelles le dogme marial s'est développé au sein de l'Église catholique; il entend suggérer les richesses qu'apporterait Marie au dialogue oecuménique et interreligieux.Son plan suit une logique à la fois de chronologie et de réflexion. Il commence par Marie dans l'Écriture (Mt 1-2 et Lc 1-2) avec un excursus sur la conception virginale et les positions actuelles des théologiens, puis il parcourt les autres textes du NT avec une note sur les rapports entre Jésus et sa mère. Vient ensuite un chapitre bien documenté (chap. II) sur la progressive affirmation de la triple virginité et d'un excursus concernant l'influence du célibat monastique sur le sujet. Une discussion y est jointe à propos du «dogme d'Éphèse» (431) et de la théotokos (chap. III). Un aperçu important (chap. IV) montre l'interaction de la doctrine et de la piété à travers les fêtes mariales, l'hymnographie, l'homilétique et l'iconographie, avec un excursus à propos du transfert sur Marie de traits propres aux personnes de la Trinité, dans les pratiques de la dévotion mariale. Vient alors un chapitre essentiel (chap. V) sur le dogme marial catholique, centré sur l'Immaculée Conception et la réflexion sur le péché originel, jusqu'à la définition de 1854 («Ineffabilis Deus»), avec un développement à propos du lien entre infaillibilité pontificale et Immaculée Conception. Non moins essentiel est le chap. VI, qui traite de l'Assomption, avec les nombreuses controverses en Orient et en Occident, jusqu'à la définition de 1950 («Munificentissimus Deus»); un excursus établit le lien entre ces deux dogmes primordiaux.
Les chap. VII à X sont consacrés aux réactions actuelles face à ces propositions dogmatiques: minimalisme ou maximalisme, avec réflexion sur l'identité catholique et la théologie mariale de Vatican II dans «Lumen gentium». Le chap. VIII s'interroge sur la place de Marie dans le dialogue oecuménique, avec exposé de la tradition orthodoxe et de sa résistance à la dogmatisation, puis dans les églises issues de la Réforme. Un excursus traite de Marie à la fois comme obstacle et comme objet du dialogue. Le dialogue interreligieux est abordé au chap. IX, original et novateur: du côté juif et dans la tradition de l'Islam, avec un excursus suggestif. Le chap. X touche la question de Marie dans «la femme divine», en trouvant des modèles dans l'AT, notamment dans la Sagesse (Pr 8,22-31), compte tenu des appropriations chrétiennes et de la réflexion sur l'Esprit saint. Une confrontation avec des données non bibliques intervient ici comme base anthropologique.
Posons quelques questions à l'A. Basant son travail sur la virginité de Marie, nous dit-il bien comment il l'entend pour l'Église et pour lui? Il y aurait à approfondir les figures de l'AT: la Sagesse, liée à l'Esprit saint, est convoquée, mais le travail de la grâce à travers les femmes d'Israël n'est guère traité, alors qu'il se situe dans l'axe de la Conception immaculée: privilège marial ou chemin de féminité? La discussion à propos des archétypes féminins et de ses représentations, en passant par l'Artémis d'Éphèse pourrait être creusée, elle aussi (cf. le livre de Ph. Borgeaud, sur La mère des dieux, 1996). Dans l'AT en Isaïe et chez les prophètes, la figure de Sion/Jérusalem comme partenaire du Serviteur et bénéficiaire de son sacrifice pourrait être élaborée dans le même sens. Le rapprochement entre Conception immaculée et Assomption dans la conjoncture du XXe siècle, à une époque où se développent les techniques de manipulation génétique et d'euthanasie pourrait aussi être pesé. Bien que la tradition byzantine ait voix au chapitre, l'A. devrait encore élargir sa prospection à d'autres églises. Enfin, l'apparition pascale de Jésus à sa mère mériterait une réflexion plus poussée.
Une abondante bibliographie témoigne du sérieux et de la pertinence de la documentation. Saluons la clarté de l'A. dans ses explications et la qualité de l'exposition, mais aussi sa probité intellectuelle et le courage avec lequel il aborde certains problèmes. Décevant par endroits, ce livre aidera pourtant les mariologues à se remémorer l'histoire du dogme marial. - J. Radermakers, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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