Beauté du monde et souffrance des hommes. Entretiens avec Charles Ehlinger

Fr. Varillon
Teologia - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Ce volume de près de 400 pages est un événement à plusieurs titres. Il s'agit d'un dialogue entre un questionneur particulièrement informé et exigeant, et un jésuite septuagénaire qui a bénéficié d'expériences multiformes et assumées avec une exceptionnelle lucidité. On peut ajouter qu'il s'agit aussi d'un testament spirituel, puisque ce dialogue qui s'étendit sur trois séries de trois jours, en avril et mai 1978 - «une cinquantaine d'heures en tête à tête, le magnétophone jamais arrêté», précise le questionneur - a précédé de quelques semaines le décès du P. Varillon. En outre, à ceux qui ont eu le privilège de lire et d'assimiler ses principaux ouvrages, ce volume révélera la profondeur et la cat-holicité (au sens étymologique, «holistique», de ce terme) de la réflexion et des expériences qui les ont inspirés.
À la fois lucide et fraternel, le P. Varillon ne manque pas, d'ailleurs, de rappeler ce qu'il doit, à cet égard, aux rencontres décisives de ses jeunes années de Lyon», en particulier celle du P. Monier, qu'il entendit un jour mentionner, «comme s'il s'agissait d'une même phrase», le verset de saint Jean: «Dieu est amour», et celui de saint Paul: «Vous avez été appelés à la liberté». Articulation que l'on peut considérer, nous paraît-il, comme séminale de ce qu'il devait ultérieurement nous livrer dans ses écrits. Puis il y eut, après son entrée au noviciat des Jésuites, la grâce des grandes amitiés: Fontoynont, de Lubac, Rondet, Monchanin…
Puis, après l'ordination, la collaboration à l'ACJF, et les communautés de foyers qu'il a animées pendant plus de trente ans, ce qui l'a conduit à l'élaboration d'une spiritualité du laïcat. Ensuite la publication progressive des Éléments de doctrine chrétienne, qui furent traduits en six langues, et la collaboration avec l'abbé Michonneau, qui ouvre à une intense activité de prédication. Enfin la pleine maturité spirituelle et littéraire des oeuvres majeures: L'humilité de Dieu et La souffrance de Dieu. Mais tout au long de cette fécondité multiforme, il y a les sources dont elle procède. L'expérience des Exercices spirituels ignatiens, selon lesquels «c'est par ses décisions que l'homme se construit».
La fréquentation d'un maître spirituel: Fénelon, cet «homme complexe et très moderne, qui aurait pu christianiser le XVIIIe siècle, si l'Université n'avait statufié Bossuet». La découverte de Claudel, qu'il a rencontré à trois reprises, et qui lui a révélé que «la joie était possible». Que le sacrifice est «la substitution d'une volonté d'accueil à la volonté de puissance». Et, d'une manière plus générale, une attention constante à l'art, notamment à la musique, et à la littérature, en particulier à Péguy, auquel il se déclare lié par «un attachement très profond», notamment du fait que «sa perspicacité est quelque chose d'absolument incomparable en matière sociale et politique». Citons enfin, pour illustrer l'originalité lucide des propos auxquels donne lieu ce dialogue, la manière dont François Varillon évoque ce qu'il appelle «un thème philosophique absolument essentiel», celui de la création: «Il faut aboutir à un Dieu qui est gratuité absolue, et en qui l'acte créateur est lié intrinsèquement à la génération du Fils par le Père» - ce qui permet d'éviter «de concevoir la création comme un acte arbitraire».
«Avec un de mes confrères [non identifié], je dirais qu'il y a une nécessité interne de la création, et que le Christ est à la fois Fils Unique et premier-Né… Le Fils était l'Unique, dit saint Augustin, et il n'a pas voulu rester seul. Il faut lier étroitement l'origine du Fils, la génération éternelle du Fils, et la création du monde. Dieu voulant le Fils voulait le monde, de telle sorte que l'Unique n'est pas le solitaire. Il est engendré en vue d'un avenir humain. De telle sorte que Dieu crée le monde par l'amour même dont il aime le Fils. Ce qui aboutit à cette idée si importante que l'Incarnation n'est pas une descente de Dieu dans l'histoire, mais que l'incarnation est au principe même de l'histoire, car elle est au principe de l'altérité». - P. Lebeau sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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