Catholiques et orthodoxes: les enjeux de l'uniatisme. Dans le sillage de Balamand
Comité mixte catholique-orthodoxe en FranceEcumenismo - reviewer : Paul Lebeau s.j.
Ce volume, qui fera date dans la réflexion contemporaine en matière oecuménique, marque l'achèvement de cette démarche incontestablement novatrice, menée à bien par une équipe de vingt-trois collaborateurs particulièrement qualifiés, et dont chaque auteur des 21 contributions présentées dans ce volume appartient à l'une des trois obédiences ecclésiastiques concernées.
Faute de pouvoir en détailler l'apport historique et théologique, nous ne pouvons omettre d'évoquer ici les Éléments pour une éthique du dialogue catholique-orthodoxe que le Comité mixte catholique-orthodoxe en France a formulés en conclusion de cet ouvrage, à partir d'une première version proposée par Hervé Legrand et Nicolas Lossky: 1. Tout dialogue oecuménique suppose «une éthique de l'échange de l'expérience chrétienne», qui repose «non pas sur des idées plus ou moins abstraites, mais sur une expérience vitale et réelle de la vie en Christ qui nous introduit dans la vie trinitaire». 2. Cette éthique suppose «une rigoureuse honnêteté intellectuelle vis-à-vis du partenaire et surtout vis-à-vis de soi-même». ce qui requiert «beaucoup de travail» d'ordre linguistique, symbolique, canonique et de l'ordre de la sensibilité culturelle. 3. Il est également important d'«apprendre à lire, en commun, notre histoire commune et séparée» et de se rendre compte, par exemple, «que les rapports entre l'Église, l'État et la nation, qui semble caractériser aujourd'hui tel pays orthodoxe et en être typique, se sont retrouvés naguère dans tel pays catholique».
4. Cette relecture de l'histoire implique que «nous soyons prêts à reconnaître nos fautes et à les dépasser par la conversion», comme l'a souligné à juste titre le pape Jean Paul II. Cette conversion «nous appelle à écouter avec respect le frère chrétien et l'Église soeur qui nous adresse la parole». 5. «Notre dialogue ne peut être en rien renonciation à la vérité. Mais sans amitié, le témoignage que nous rendons à la vérité n'est pas reçu», ainsi que nous l'ont montré le patriarche Athénagoras Ier et le pape Paul VI. 6. «Dans le cadre de la liberté religieuse que nous reconnaissons les uns et les autres», il convient l'élaborer «un code de bonne conduite sur les passages individuels, probablement inévitables, d'une Église à l'autre». 7. «Réaliser dès maintenant, en chacune de nos Églises, tout ce qui est homogène à l'unité qui nous est demandée», en «reconstituant le « tissu conciliaire » à tous les niveaux de la vie ecclésiale», notamment «en ce qui concerne la primauté et la conciliarité».
À cet égard, du point de vue catholique, ainsi que le constate le P. H. Legrand, dans une de ses deux contributions à ce recueil, «on ne pourra éviter une réflexion doctrinale sur l'État du Vatican, qui soulève des questions théologiques, ordinairement sous-estimées». Certes, l'Église catholique ne manque pas de s'adresser directement aux Églises orthodoxes comme à des Églises soeurs. Mais, par ses diplomates, elle a directement accès auprès des États de tradition orthodoxe, ce qui lui permet (…) de se faire entendre indirectement de l'Église orthodoxe, généralement nationale, qui n'a souvent guère de marge de manoeuvre vis-à-vis de l'État. Cette asymétrie est vivement ressentie» (p. 240). Dans une autre contribution, qui nous paraît la discussion la plus précise et la plus exhaustive dont nous disposions à ce jour, le P. Legrand se pose également cette question: «L'ecclésiologie des Églises soeurs, clé de la Déclaration de Balamand, a-t-elle plein droit de cité dans l'Église catholique?». Il constate, comme beaucoup d'autres commentateurs, que la Note de la Sacré Congrégation pour la Doctrine de la Foi du 30 juin 2000, «semble délégitimer l'assertion centrale de Balamand concernant l'expression «Églises soeurs» (p. 363). Il en résume la thèse en ces termes: «Seules, les Églises orthodoxes locales et régionales peuvent et doivent être considérées comme des Églises soeurs des Église locales et régionales catholiques. En revanche, l'Église catholique, qui est aussi l'Église universelle, est la seule réalisation de l'unique Église du Christ confessée dans le Credo. Pour cette raison, ni l'église orthodoxe ni telle Église orthodoxe ne peuvent être la soeur de l'Église catholique, celle-ci ne pouvant avoir que des filles. Aussi ; seule l'Église catholique est identifiable à l'Église du Christ» (p. 368). Le même auteur remarque en outre que cette thèse est également présente dans la déclaration Dominus Iesus de la même Congrégation. Il procède alors à un examen précis et minutieux des textes conciliaires, des déclarations pontificales et des commentaires de théologiens, dont il résulte que la reconnaissance de l'Église orthodoxe comme une Église soeur de la nôtre (…) ne met pas en péril l'unicité de la véritable Église du Christ» (p. 391). L'assertion centrale de la Déclaration de Balamand s'en trouve donc confortée. On l'aura compris: ce livre dense et informé aux meilleures sources s'impose à l'attention de tous ceux qui ont à coeur le témoignage de l'Église dans le monde de ce temps. - P. Lebeau sj