Charité bien ordonnée. De saint Augustin à Goethe. Six études

Alberto Frigo
Storia del pensiero - reviewer : André Haquin

Philosophe et professeur d’histoire de la philosophie moderne à Milan, Alberto Frigo propose un parcours érudit, d’Augustin à Goethe, en passant par Bernard, Thomas d’Aquin, Dante, Montaigne, Descartes, Pascal, mais aussi des juristes et des casuistes, concernant le célèbre dicton « Charité bien ordonnée commence par soi-même » – dont la généalogie reste obscure – et qui semble s’opposer frontalement aux données bibliques concernant l’amour unique et inconditionnel pour Dieu et l’amour universel pour le prochain. L’Ordo charitatis à quatre niveaux est déjà présent chez Augustin (De doctrina Christiana) : au-dessus de nous (aimer Dieu, Mt 22,37-39) ; nous (s’aimer soi-même) ; près de nous (le prochain) ; en dessous de nous (notre corps).

Le dicton controversé serait né au Moyen Âge, non chez les théologiens, mais chez les juristes qui l’ont soit inventé, soit au moins diffusé. Cet « amour de soi » relève de la loi de la nature. Ce dicton dont l’origine se situe entre théologie et droit, comporte des leurres, car il semble pousser à l’égoïsme. Il ne manquera pas d’auteurs chrétiens, comme Thérèse d’Avila, pour rappeler que Dieu est au-dessus de tout et doit donc être aimé par-dessus tout. Pour sa part, la tradition luthérienne rappellera avec force que la « charité bien ordonnée commence par autrui », le repli sur soi étant le péché. Au fil des temps, on constate que l’Ordo charitatis, qui fait preuve d’une grande « plasticité », va se modifier, sans se dénaturer, en fonction de la culture et des questions qui se posent.

Le chap. 5 « Charitas patriae : l’ordre de la charité et le martyre civil » est particulièrement suggestif pour notre temps. On se rappelle la lettre Patriotisme et endurance (Noël 1914) du Cardinal Mercier. Dans ce texte, le Card. mentionne une question que lui a posée un Officier : le soldat qui meurt pour sa patrie peut-il être considéré comme « martyr » ? La réponse fut double : d’un point de vue théologique (St Thomas), il n’est guère possible de l’affirmer, car le martyr chrétien est victime d’un agresseur et se trouve désarmé devant lui, tandis que le soldat meurt les armes à la main. Par ailleurs, le Card. esquisse une seconde réponse, entre pastorale et sagesse philosophique, estimant que le Christ ne laissera pas un pareil « brave » sur le bord du chemin, car il a fait passer le bien commun (patrie) avant son propre intérêt, sa propre vie. Les études de E.H. Kantorowicz, Les Deux Corps du Roi. Métamorphose de la notion de patrie, ont marqué la pensée depuis un demi-siècle. L’A. montre comment, à l’époque de la Renaissance, l’idée de patrie change de signification au profit de la « patrie éternelle » ou du Royaume des cieux. C’est comme si le corpus mysticum du Christ trouvait désormais une application par rapport à l’État, par un processus de « resécularisation ». La « mort pour la mère patrie » relèverait en quelque sorte de la charitas, justifiant d’une certaine manière le « martyre civil ». Dans ce cas, la « charité » devient un autre nom de la « fraternité » entre citoyens. — A.H.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80