Chrétiens virtuels. L’universalité de l’Évangile selon Karl Barth

Emmanuel Gougaud
Teologia - reviewer : François Odinet

Dans cet ouvrage qui fait suite à une thèse de doctorat soutenue à l’Institut catholique de Paris, sous la dir. d’Emmanuel Durand, l’A. analyse trois « considérations transitoires » disséminées dans la quatrième partie de la Dogmatique de Karl Barth. Avec l’apparition de la notion de « chrétiens virtuels et potentiels » dans les deux premières considérations, se pose la question de l’universalité du salut.

Après avoir présenté la problématique et la méthodologie de cet ensemble de la Dogmatique, la première partie pose le problème : c’est l’histoire de Jésus qui est au centre de la théologie barthienne de la réconciliation ; dès lors, comment peut-on justifier l’extension universelle de cette christologie ? S’il est vrai que la christologie barthienne inclut l’anthropologie, comment alors cette dernière conserverait-elle quelque consistance, sans sombrer dans l’autoréférentialité ?

La deuxième partie s’ouvre sur une présentation d’ensemble des considérations transitoires, avant que chacune d’elles fasse l’objet d’une étude consistante. Pour Barth, l’histoire singulière du Christ étend son domaine à l’histoire de tout humain du fait de la résurrection, à la fois rayonnement nouveau de la vie du Christ (sans plus de menace que la mort ferait peser) et possibilité pour l’humanité de reconnaître dans cette même vie du Christ la vérité. Cette conjugaison des existences personnelles à l’itinéraire du Christ est pensée en clé pneumatologique.

La notion de « chrétiens virtuels » s’applique alors à tout humain ; elle traduit le fait que l’humanité de chaque humain est fondée dans l’humanité du Fils de Dieu, car un lien ontologique relie celle-ci à toute personne humaine. L’A. peut alors affirmer que Barth ne dévalorise pas l’histoire puisque Dieu nous offre celle-ci pour accueillir la vérité christologique de notre humanité et déployer l’itinéraire du Christ dans nos cheminements.

La troisième partie permet à l’A. de comparer la notion de « chrétiens virtuels » à celle de « chrétiens anonymes » avancée par Karl Rahner. Si la manière dont l’un et l’autre relient christologie et anthropologie peut être rapprochée avec profit, la différence se révèle quantitative (pour Barth, toute personne est un chrétien virtuel ; pour Rahner, on ne peut présupposer a priori la qualification de chrétien anonyme) et qualitative (Barth rejette tout critère éthique pour qualifier la notion de chrétiens virtuels, là où Rahner met en avant une manière d’engager librement son existence).

L’A. livre donc une passionnante traversée, fondée sur l’étude serrée du texte de la Dogmatique et de la littérature secondaire, tout en parvenant à honorer l’amplitude et la profondeur de la pensée barthienne. Une double question demeure cependant. D’abord, si l’A. parvient à manifester que la cohérence de la pensée barthienne est plus grande que certains critiques l’ont affirmé, on peut tout de même se demander si le tour autoréférentiel de la pensée est toujours évité. Ensuite, le désintérêt de Barth pour la manière dont s’opère le déploiement de l’histoire du Christ dans la multitude des histoires ne mérite-t-il pas d’être plus sérieusement mis en question que ne le fait l’A. ? — F. Odinet

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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