À l'occasion du Jubilé de l'an 2000, on a beaucoup écrit sur la paternité de Dieu. Ce livre, préfacé par Mgr Léonard, ajoute son originalité à ceux qui l'ont précédé ou suivi. Son A. est un prêtre d'Arras, diplômé d'études supérieures, enseignant et chercheur personnel, scrutateur de la Parole de Dieu et de la tradition de l'Église, féru de théologie. C'est sa réflexion sur Dieu Père qu'il nous livre dans cet ouvrage déconcertant, au vocabulaire insolite et volontiers redondant, à l'usage exagéré de majuscules, à la manie de citer ses propres oeuvres, sans références à d'autres auteurs contemporains. Tout ceci a de quoi rebuter un lecteur bienveillant qui espérait trouver un langage accessible pour lui parler du Père dans un livre nourrissant l'âme et le coeur. Heureusement, Mgr Léonard l'éminent préfacier nous avertit qu'il y a à «savourer avec délices cette longue rumination métaphysique qui introduit dans le mystère trinitaire, dans la relation intime de Jésus à son Père, et débouche sur une relecture de l'eucharistie et du baptême en passant par un commentaire du Notre-Père et un audacieux chapitre de théologie mariale» (p. 7). Mais il y a une condition: avoir lu l'un des précédents ouvrages de l'A. Aussi avons-nous recouru à la trilogie souvent citée en note afin de nous familiariser à son écriture, d'où ce rappel d'une recension déjà ancienne (cf. NRT 112 [1990] 142).Si nous avons bien compris les grands traits de la théologie de l'A., il tente d'élucider le mystère du mal dans le monde en remontant jusqu'à la Trinité et à son acte de création, déroulant une réflexion passionnante sur la relation dont le modèle est trinitaire et qui s'étend à tout le réel. Partant de la création, comme manifestation de la gratuité divine, il découvre comment celle-ci s'incarne dans les «commencements» humains, par Jésus Christ; un commentaire théologique des «Six jours» dans le livre de la Genèse lui permet de poser que Dieu crée du trop-plein de sa miséricorde, que la fécondité humaine par nuptialité n'est plus que l'ombre de ce qu'elle devait être et de ce qu'elle est redevenue en Christ. Tel est en bref l'argument du premier volume.
Suit une réflexion sur la question du mal. D'où vient-il et qu'est-ce que Dieu en fait, s'il ne l'a pas créé? Poussé par sa veine métaphysique, l'A. nous donne à contempler le mystère de la révélation divine à travers la réalité humaine grevée du «péché d'origine». Il analyse le mauvais choix initial de l'homme, puis la manière dont l'acte créateur précède et prévient ce choix en portant et assumant l'humanité blessée au creux d'un silence parfois effrayant face à l'excès du mal qui paraît triompher. Puis il montre comment l'eucharistie du Christ mort et ressuscité façonne notre corps de gloire en le promettant à la grâce du Royaume déjà présent et encore inaccompli dans l'Église comme mystère, qui se loge dans une institution elle aussi blessée. Cette espérance nous invite à ne pas majorer la vision dramatique parfois outrancière esquissée par l'A. dans certaines de ses pages sombres, mais traversées aussi d'éclairs lumineux.Le troisième tome reconstruit le monde humain sauvé par Dieu «au sortir de l'Éden», à partir de la gratuité de l'Amour, qui est d'origine et de fin. La question se pose de la destinée du Royaume à travers l'histoire des hommes et celle de l'Église. Comment l'Eucharistie est-elle le catalyseur de cette histoire du salut dans la célébration sacramentelle de miséricorde et de pardon, qui fonde et refond la création de l'homme à l'image de Dieu. Le rôle de la Femme, la Vierge-mère, essentiel dans cet enfantement de l'humanité en son Fils, est heureusement mis en évidence dans le dernier chapitre, préludant à une méditation sur les concepts de présence et d'existence où s'inscrit notre divine filiation en Christ.
Après ce détour nécessaire, revenons à la contemplation de Dieu le Père: une réflexion qui nous engage à pénétrer dans le mystère révélé par le Fils grâce à l'inspiration de l'Esprit saint. Ce livre est de facture un peu différente des autres et en fait les suppose. Tout en nous faisant entrer dans l'intimité des relations entre Père et Fils, toutes d'effacement (ou «kénose») et d'accueil mutuel (ou «relation» de communion), il décrit de façon romancée, à la manière des évangiles apocryphes de l'enfance, les progrès de la conscience du jeune Jésus. On peut se demander s'il fallait passer par là pour nous faire découvrir notre propre intimité avec Dieu dans le Fils. Pourtant l'A. nous mène plus loin, nous invitant à pénétrer le mystère du dessein de salut et de la providence du Père, même à travers la réalité du péché. Il nous montre comment la gratuité paternelle de Dieu nous consomme dans l'unité et nous confère notre réelle identité. Finalement, l'A. revient à Marie «fille du Père, mère du Fils, épouse de l'Esprit» et nous invite à découvrir dans l'amour de Marie et Joseph le modèle de l'union conjugale. Enfin, à partir du Notre-Père «prié au nom de Jésus», revenant sur l'eucharistie et le baptême, l'A. nous redit la force transformante de ces deux sacrements de vie.
Malgré son ton péremptoire parfois énervant, l'A. n'est ni manichéen, ni intégriste, ni novateur; il reprend la tradition de l'Église, mais à sa manière, personnelle, et somme toute classique. Si le lecteur, un tantinet métaphysicien, consent à dépasser son agacement et poursuit sa lecture, il ne tardera pas à être récompensé. Il goûtera un cocktail préparé avec amour, fait d'élévations spirituelles et de raisonnements rigoureux, dans un mélange finalement attachant: chaque oiseau chante comme son bec est fait. Nous lui en savons gré. - J. Radermakers, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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