L'ouvrage que les éditions Lessius ont eu le courage de traduire et
d'éditer en français est «singulier» à plus d'un titre. D'abord
parce qu'un prêtre de la Compagnie de Jésus, médecin et
psychanalyste, s'essaye ici à la première analyse psychologique
d'envergure concernant son illustre fondateur. Ensuite parce que
les données historiques les plus récentes (ne chicanons pas sur le
cliché militaire) ont été intégrées à une forme de récit qui ne
craint pas d'expliciter, au fur et à mesure de son développement,
les critères herméneutiques livrés à la réflexion du lecteur (le
soutien persévérant des doctrines freudiennes ne manque pas
d'intérêt pédagogique). Depuis la première partie, consacrée à
Iñigo de Loyola, jusqu'à la sixième, qui ose le portrait
psychanalytique du saint, le lecteur assiste à la transformation
(que l'A. nommera «transvaluation», 484) du pèlerin (deuxième
partie) en étudiant (troisième partie), puis en général de la
Compagnie naissante (quatrième partie), avec la reprise de sa vie
mystique et spirituelle (cinquième partie) qui ouvre précisément à
la perspective psychanalytique finale. On notera que les écrits
majeurs sont relus, même les Exercices, comme la manifestation de
l'expérience psychique personnelle (122, etc.).
Les interprétations proposées de manière apodictique au début (à
propos de la séparation précoce de la mère et de la figure
dominante du père, notamment) sont reprises (faut-il dire
«perlaborées»?) dans les cinquième et sixième parties sur un mode
plus hypothétique (444) et d'ailleurs plus convaincant: le
«dramatique dialogue» entre le moi et le surmoi d'Iñigo (483), sa
structure psychique obsessionnelle (457), les composantes
libidineuses de son charme auprès des femmes, mais aussi des hommes
(460), et surtout le problème jamais résolu de l'exercice de
l'autorité (284), expriment, avec d'autres composantes encore,
cette causalité psychique que la causalité divine touche en
profondeur. Une bibliographie abondante, un précieux index, des
cartes et une vingtaine d'illustrations donnent le cachet
supplémentaire de beau livre à ce cas de «mysticisme et
psychopathologie» (390) qu'on voudrait voir discuter plus
longuement dans l'aire culturelle francophone. - N. Hausman, S.C.M.