Les études sociologiques sur le don comme phénomène qui appelle la réciprocité du contre-don sont à dépasser, ce qui se fait en parcourant les textes principaux de Jacques Derrida (Donner le temps, Sur l'hospitalité), Emmanuel Lévinas et Jean-Luc Marion (Étant donné et Phénoménologie érotique), trois auteurs pétris de tradition biblique. Les paradoxes auxquels aboutit Derrida (un don réussi n'a ni donateur, ni donataire, ni chose donnée) soulignent l'absolue inconditionnalité d'un don authentique. Pour Lévinas, attentif à ne pas se soumettre à l'intellectualisme de Husserl, le don authentique n'est pas connu du donataire; il advient d'en deçà du champ de la conscience. Les thèses de Marion s'orientent par contre, selon l'A., en direction d'un nouveau savoir; le philosophe de la Sorbonne aurait réduit les horizons de la phénoménologie en encerclant l'amour dans l'horizon de la pensée.
Les derniers chapitres de l'ouvrage montrent que le don connaît une certaine réciprocité, mais en ceci que le donateur se découvre accepté par le donataire, qu'il devient ainsi en quelque sorte son «otage» (l'A. prend décidément parti pour Lévinas). Celui qui donne reçoit de pouvoir donner. C'est dans la mémoire du don reçu que notre durée temporelle prend saveur. - P. Gilbert sj