«Jésus misérable». La christologie du père Joseph Wresinski
Jean Lecuit s.j.Teologia - reviewer : Xavier Dijon s.j.
Reste l'autre sujet d'hésitation: peut-on vraiment dire que Jésus est misérable? Après la lecture de l'ouvrage, le doute persiste, mais mieux cerné. En fait, la volonté de l'A. de suivre JW jusque dans sa qualification massive de Jésus comme «misérable» relève probablement plus de la théologie que de la sociologie: la kénose du Christ devait nécessairement comporter un retentissement social. Dans la mesure où Jésus est descendu au plus bas de la condition humaine et que la misère constitue l'expression visible de la destruction opérée par le péché, «ne fallait-il pas» (pour parler comme Jésus lui-même aux disciples d'Emmaüs, Lc 24, 26) que le Fils de Dieu fût lui-même fait «homme de la misère»? La thèse est sotériologique: si le Christ ne descend pas au plus bas, il ne sauve pas les personnes qui resteraient en dessous de Lui, or les gens de la misère se situent précisément au plus bas. Donc…
Telle quelle, la thèse pourrait paraître exagérée. Faut-il, en effet, que Jésus ait vécu lui-même le drame du cancer ou du sida pour se présenter comme le Christ qui révèle en plénitude l'amour de Dieu aux personnes atteintes de ces terribles maladies? Avec toute la tradition de l'Église qui, dès son départ, a médité la Passion et le Calvaire, on répondra que le salut donné par le Ressuscité s'est essentiellement joué à la Croix, et que cet événement unique rejoint «une fois pour toutes» (He 10,10) toutes les misères que le péché a provoquées dans le monde. Mais si la perspective théologique de la kénose et de la descente aux enfers ne nous force pas à attribuer de façon plus ou moins artificielle à Jésus de Nazareth et à son milieu toutes les caractéristiques des familles qui connaissent chez nous la misère, elle peut par contre éveiller nos sens - et l'ouvrage s'y emploie fort bien - à la manière dont Jésus, dans l'Évangile, rencontre le larron et la prostituée ou les foules, ou encore les riches, désarmés par ce Pauvre. Jésus n'a jamais pris distance d'avec les misérables. Dans le même mouvement, cet intime dépouillement de soi vécu par le Christ devient la clé qui permet de comprendre en quoi les pauvres d'ici et de maintenant reconnaissent Jésus comme un des leurs et suscitent comme Lui autour d'eux la communion en profondeur de ceux qui n'ont plus que leur humanité à partager.
Il faut savoir gré à l'A. de nous avoir donné cette petite synthèse de la christologie du P. Joseph Wresinski dont toute la chair vient de la rencontre des visages. Heureuse Église qui peut dire «Heureux les pauvres». - X. Dijon sj