Juifs et chrétiens. Repères pour dix-neuf siècles d'histoire

Béatrice de Varine
Religioni - reviewer : Alban Massie s.j.
L'A. enseigne l'histoire du peuple juif et de ses relations avec les chrétiens à Paris, depuis plus de vingt ans. Elle présente la synthèse de sa recherche dans cet ouvrage imposant tant par le sujet traité que par la manière de l'aborder. L'exposition de ces «repères» suit un déroulement chronologique en 3 parties, dont les étapes sont 1492 (l'expulsion des juifs d'Espagne) et 1791 (l'émancipation des juifs en France). L'ouvrage s'arrête à l'orée du XXe s. (cette époque demandant un ouvrage à lui tout seul, estime l'A. avec raison). Les questions sociopolitiques sont omniprésentes dans ces deux millénaires, d'où l'intérêt majeur d'en donner ainsi les contextes historiques, ce qu'agrémente l'A. avec des citations hors-texte très nombreuses toujours intéressantes (la bibliographie est conséquente et l'index contient plus de 800 noms propres). Dans ces récits, les aspects anecdotiques ne manquent pas et des pages devraient faire rougir le lecteur (les ghettos et la Semaine sainte, p. 424, la prière du Vendredi saint, p. 621); d'autres font découvrir des figures du judaïsme plus ou moins connues ou les courants spirituels qui agitèrent le peuple juif dans sa diaspora; d'autres encore visent à mieux faire comprendre «ce qui s'est passé» en situant théologiquement les positions des auteurs importants: on notera le regard bienveillant envers Thomas d'Aquin (p. 227-229, cité à partir d'un commentaire et non directement), on s'étonnera davantage de la présentation d'Augustin (p. 120-121) qui ne montre pas une lecture de première main.
Il est dommage de n'avoir pas tenu compte des développements récents de la recherche sur ce point, ne serait-ce que dans l'ouvrage de P. Fredriksen (2005) qui voit dans la pensée augustinienne «a christian defense of Jews and judaism» et non une «dangereuse théologie», comme l'écrit B. de V. À dire vrai, il conviendrait de moins mettre en cause l'héritage augustinien que les héritiers eux-mêmes, qui choisirent au Moyen-Âge de lire les interprétations allégoriques de leur maître sans tenir compte de sa théologie de l'histoire et passèrent de la critique théologique - souvent directement tirée des mots mêmes des Écritures - au rejet social des juifs réels. Il nous paraît vraiment dommage que ce chapitre n'ait pas été traité avec plus de soin, dans la mesure où Augustin est considéré encore souvent comme le père de l'antisémitisme chrétien: l'A. rappelle la Cité de Dieu, mais en cite un extrait faussement, à partir d'un résumé (et la réf. biblique,p. 121, n'est pas Rm 11,11 mais Ps 58,12). L'A. reconnaît que ce qu'il y a de déplaisant chez Augustin se trouve chez ses devanciers. Il ne faut pas oublier que la théorie augustinienne du «témoignage» a servi de base à saint Bernard pour protéger les juifs des exactions des croisés, comme l'écrit l'A. (cf. p. 203-204). Il reste que cet ouvrage, dont la préface est de J. Dujardin et la postface deR. Marciano, sera très utile pour ceux qui veulent suivre cette difficile histoire qui a connu heureusement un renouvellement complet à Vatican II. - A. Massie sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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