Une ontologie concrète, attentive à la distance entre le savoir qui
dit l'absolu et la vie dans l'absolu, entre la pensée et l'être.
Dans cet abîme, la folie. L'ouvrage est difficile, sinueux, très
cultivé mais discrètement; s'il pénètre les drames de l'humanité,
il les regarde toujours à distance. Le ch. 1 caractérise d'abord
des «Grandes manies», selon l'expression platonicienne; folie et
amour vont de pair, la première montrant ce que l'autre sait
impossible. Durant le Moyen Âge et les Temps Modernes (ch. 2), la
folie acceptable prend la forme de la mélancolie, qui cependant
s'échoue dans le vertige. «L'épreuve assimilée de l'illimité, voilà
qui donne le vertige. Vertige de ce vide qui n'est pas manque d'un
objet déterminé ou ce qu'un objet pur pourrait satisfaire sur le
moment. Vide d'une tension qui s'empresse d'un point d'eau à
l'autre, d'un assouvissement à un autre, mais pour harceler
l'appétit» (p. 308). Mélancolie comprise aussi, sans doute sous
l'influence de la foi luthérienne, comme felix culpa de
celui qui est à la fois iustus et peccator. Le ch. 3 met
ensuite en évidence «La Raison de la croix»; il rappelle la longue
tradition de cette figure de torture et d'élévation aux
significations aussi bien cosmiques que politiques, soulignant que
«le monde païen est familier de la mort vicaire» (p. 379) et que la
Croix n'est célébrée en chrétienté qu'à partir du VIIIe s. Le ch.
4, intitulé «L'Être hospitalier configuré par la folie», unit
l'ampleur de la folie et l'impossibilité du don de soi à l'absolu,
folie qui encore et toujours indique le meilleur, mais
insupportable, de l'humanité; l'A. interprète là, en passant, la
charité chrétienne vécue par Jean de Dieu. Le ch. 5 clôture le
parcours à la manière de Nietzsche, «Le Rire de la croix», qui peut
ne pas être sonore mais une simple «gaieté hospitalière» (p. 536).
Un ouvrage inquiétant, bien dans le style du jour. - P. Gilbert,
S.J.