L’être et ses degrés. Histoire de l’ontologie scalaire
(dir.) Fabienne Baghdassarian (dir.) Kristell TregoFilosofía - reviewer : Pascal Ide
Ce collectif, fruit d’un colloque tenu en novembre 2019 à l’Université Rennes i, a pour objet une thèse centrale de la métaphysique : la doctrine des degrés de l’être. Non seulement, l’être est ce qui « se dit de plusieurs manières », selon la célèbre affirmation d’Aristote, qui sert de point de départ au livre, mais cette polysémie s’exprime non pas dans une pluralité de modes en quelque sorte horizontale, mais de manière étagée, comme verticale. Une fois dépassée la rigide opposition univoque de l’être et du non-être qui fut modélisée par Parménide, l’ontologie scalaire évite l’éclatement équivoque de l’être ou l’appel à un au-delà comme l’Un, le Bien, le don. Pour l’établir, l’ouvrage opte pour la perspective historique. Il montre ainsi la permanence de cette problématique : elle fut posée directement par Platon et Plotin, et indirectement par Aristote ; elle fut développée au Moyen Âge par le Liber de causis, Boèce et Al Farabi ; elle est minée germinalement avec l’ens diminutum de Duns Scot, sérieusement avec le principe leibnizien de continuité et définitivement par la substitution hégélienne des moments du concept aux degrés de l’être ; elle est retrouvée avec la philosophie analytique des modes d’être et des degrés de l’être. Heureusement, ce qui pourrait n’être qu’historicisme (si fréquent dans les approches notionnelles) est partiellement corrigé par des essais qui osent des approches plus doctrinales, comme celui d’Alain Petit qui compare l’hénologie plotinienne à l’ontologie du Liber de causis.
Passons les coquilles souvent nombreuses chez l’éditeur Hermann. Le lecteur s’étonnera de trois manques majeurs : d’une réflexion sur le statut double (ce qui ne signifie pas ambivalent), conceptuel et imaginatif, des termes « degrés » ou « échelle », donc d’une approche symbolique de la verticalité appliquée à l’ontologie (une ontotopie, en quelque sorte) ; d’une attention à ce que la Révélation biblique, intériorisée spéculativement, apporte de spécifique à la vision grecque (d’autant que le livre prend le temps d’honorer le moment médiéval) ; enfin, de la prise en compte de la problématique inédite qu’introduit la French Theory (arbre versus rhizome de Deleuze-Guattari) qui revient de manière militante dans le wokisme. Demeure un ouvrage fort utile, aux exposés savants, mais pas « jargonnants », qui problématise et donne à penser, et qui atteste la vitalité autant que la vivacité pérenne des grands thèmes métaphysiques. — P.I.