Nous connaissons bien l'A. de ce livre: juif d'origine, auquel son
passage par l'Église catholique n'a pas vraiment donné la foi
chrétienne, car son point de vue sur Jésus n'a pas changé. Sa
trilogie l'a nettement montré: Jesus the Jew (1973, tr. DDB 1978),
Jesus and the World of Judaism (1983), The Religion of Jesus the
Jew (1993). En 2003, The changing Faces of Jesus (publié chez
Bayard sous le titre Enquête sur l'identité de Jésus) confirme
encore cette optique. On peut comprendre le désir d'écarter les
témoins que sont les évangélistes pour tenter de percer le secret
du Jésus de l'histoire tel que ses contemporains ont pu
l'appréhender, et tenter de «reconstruire» un «évangile des
origines» qui serait le seul «vrai», mais cette tentative est-elle
valable? Le Jésus historique «retrouvé» grâce à la connaissance des
sources juives est-il plus «authentique» que le Ressuscité dont
vivaient les premières communautés chrétiennes vers la fin du
premier siècle, dont témoignent les évangiles canoniques? Le Vivant
qui a traversé les siècles n'est-il pas le véritable Jésus,
surplombant toute notre histoire humaine en laquelle tout ensemble
il s'enfouit? Par ce livre, l'A. pose question à notre foi
chrétienne, et cela demande option. En fait, on trouve beaucoup
d'excellentes notations dans ce volume, mis à part les présupposés
positivistes et rationalistes de son A., lesquels risquent de
transmuer notre foi en gnose, si nous n'y prenons garde. D'où
l'extrême circonspection à avoir dans son utilisation, plus que
dans celle de l'étude analogue de J.P. Meier Un certain Juif Jésus
(Cerf, 2004-2005). Notre A. fait évidemment preuve d'une
extraordinaire connaissance des sources juives et d'une érudition à
laquelle n'atteignent guère les chercheurs chrétiens, mais ses
reconstructions ne nous livrent que du probable et du plausible à
propos des sentences authentiques ou inauthentiques de Jésus, qui
sont minutieusement examinées et groupées sous neuf catégories
littéraires différentes: «toutes les paroles que Jésus est censé
avoir prononcées» afin de redécouvrir «le message religieux
authentique qu'il a prêché et vécu» (p. 8). Cet éclairage est
intéressant, mais il réduit l'évangile, surtout celui de Jean
(qualifié de «long, confus et répétitif», p. 13), à un enseignement
inséré dans la tradition rabbinique. Cette «interprétation critique
systématique du texte évangélique» (p. 8) garde sa valeur
d'expérience «chimique» (sic), mais ne nourrit pas la foi.
Au demeurant, faut-il «rejudaïser» Jésus pour le comprendre? En
prétendant retourner aux «origines», c.-à-d. à une image stricte du
judaïsme observant, et en accusant Paul d'avoir gauchi cette image,
ne restons-nous pas dans notre imaginaire? N'empêchons-nous pas
alors Jésus d'être vraiment ressuscité pour le monde entier?
Pourtant, la vocation juive n'est-elle pas d'emblée universelle,
dès Abraham (Gn 12,3)? Ce livre nous permet, a contrario, de nous
purifier aussi de nos tendances possessives, à tout le moins bien
païennes. - J. Radermakers sj