La notion de Munus au Concile Vatican ii et après. Pour une fondation théologique du pouvoir dans l’Église

Martin Pinet
Teologia - reviewer : Charles Scrive f.m.j.

La récente publication de la thèse du p. Martin Pinet (mars 2021) nous permet de poser un regard théologique sur l’idée du pouvoir dans l’Église. L’A., récompensé par le prix Henri de Lubac 2022, nous offre ainsi des clés de compréhension précieuses pour éclairer deux thèmes d’actualité. La démarche synodale d’une part nous invite régulièrement à tracer de nouveaux chemins pour une place renouvelée des laïcs dans l’exercice du pouvoir dans l’Église. D’autre part, pour l’Église qui est en France, le rapport de la Commission Sauvé avait formulé plusieurs recommandations qui touchent le sens théologique du pouvoir dans l’Église ; en préconisant de dissocier partiellement le pouvoir d’ordre et de juridiction, dans le but de désacraliser la figure du ministre ordonné et éviter ainsi une culture des abus, les membres de la Commission ne pouvaient alors prendre en compte les conséquences théologiques d’une telle remise en question. Le travail de l’A. nous permet de mieux saisir les enjeux qui sont derrière ces questions ecclésiales.

Une première partie offre deux analyses successives complémentaires de la notion de munus au concile Vatican ii. La première approche est synchronique ; elle permet de trouver une signification de ce terme selon la cohérence interne des seuls textes conciliaires à partir des nombreuses occurrences, notamment dans Lumen gentium. Aucun autre concile ne donne autant d’importance à cette notion que le concile Vatican ii. En conclusion l’A. en déduit que le munus est don et obligation, consécration et mission, sacrement et ministère. La deuxième approche est diachronique et propose une étude des sources scripturaires, patristiques et magistérielles utilisées par les pères conciliaires. Cette approche a mis en évidence un glissement sémantique de la notion de munus du droit vers la théologie. La notion est alors envisagée comme « une participation dépendante et subordonnée des baptisés au sacerdoce du Christ, sous les formes diverses du ministère ordonné ou du laïcat » (p. 211). Ainsi le munus est au croisement de la question du pouvoir dans l’Église, au cœur de la bipartition ordre-juridiction et de la tripartition des munera.

Une seconde partie approfondit cette question brûlante de l’exercice du pouvoir dans l’Église, depuis son origine jusqu’au concile Vatican ii et sa réception tant théologique que canonique et magistérielle. Les étapes de rédaction de la constitution Lumen gentium et en particulier de son chap. 3 mettent en évidence une cohérence de pensée malgré des difficultés pour obtenir un consensus. « Le texte s’est progressivement “théologisé” et “déjuridicisé” pour présenter le mystère de l’Église en général et le pouvoir en particulier dans une perspective théologique et pastorale » (p. 454). D’une certaine manière, le concile Vatican ii a voulu redire que tout pouvoir devait être compris comme service. Autrement dit, la notion de munus permet une fondation théologique à l’idée de pouvoir dans l’Église en l’enracinant dans le sacrement afin de le comprendre dans son unité fondamentale et de le vivre comme une mission unitaire de service de la communauté. Un schéma explicatif (p. 295) permet de résumer l’approche. Puis l’A. analyse les interprétations de ce texte conciliaire pour mettre en évidence des réceptions parfois antagonistes. Pour certains canonistes (Beyer et Ghirlanda), le munus est une capacité donnée par le sacrement en vue d’une mise en œuvre du pouvoir donné par l’autorité ecclésiastique ; la communion hiérarchique est alors une cause de la réception du pouvoir dans l’Église. On retrouve par là une forme de bipartition du pouvoir. Pour plusieurs théologiens (en particulier Congar, Philips et Villemin) avec diverses nuances, la communion hiérarchique est plutôt envisagée comme une condition de la réception du pouvoir. Ainsi le sacrement confère sacramentellement et ontologiquement la triple mission ; le munus unique est décliné en trois fonctions, « l’exercice du pouvoir reçu tout entier dans cette consécration étant ensuite déterminé par la juridiction, établie dans la communion hiérarchique » (p. 383). Un regard sur la réception conciliaire par le magistère et le droit canonique (notamment le code de 1983 et son vocabulaire) montre bien les difficultés et les défis encore actuels pour sortir d’un certain paradigme sociétaire au profit d’une ecclésiologie de communion.

L’A. indique ensuite une série d’applications concrètes fort intéressantes avant de proposer un dernier chapitre avec des pistes de recherches au sujet de l’ecclésiologie de communion et de la participation de tous au pouvoir, rejoignant ainsi les problématiques de la démarche synodale actuelle. Parmi les pistes de recherche à proposer, on pourrait élargir l’étude au domaine de la vie religieuse qui n’apparaît pas dans l’analyse synchronique (le munus dans la vie consacrée). Cette prise en compte permettrait d’éclairer l’articulation entre le sacerdoce ministériel et le sacerdoce baptismal afin de dépolariser le débat et d’enrichir la participation de tous dans l’Église.

On relèvera la grande clarté de cette thèse dans son développement, dans sa formulation. Sa lecture est d’un grand enrichissement pour mieux comprendre et penser les problématiques de gouvernance dans l’Église et la collaboration avec les laïcs. — C.S.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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