Le combat amoureux. Disputes phénoménologiques et théologiques

Emmanuel Falque
Filosofía - reviewer : Antoine Vidalin
Le combat amoureux d'Emmanuel Falque propose une approche originale des grands penseurs de la phénoménologie française récente ou actuelle. Recueillant diverses contributions de l'A. sur Derrida, Merleau-Ponty, Levinas, Marion, Henry, Chrétien, Lacoste, Romano et Greisch, l'ouvrage se veut une discussion philosophique portée par l'A. sur le mode de la disputatio ou plus proprement du « combat amoureux », pour reprendre l'expression de Heidegger qui donne son titre à l'ouvrage, combat où il en va « de la chose même ». Tour à tour élogieux et questionnant, amoureux et exigeant, l'A. nous propose une lecture vivante où s'entend un véritable dialogue avec ceux qui furent pour certains ses maîtres (en particulier Marion, Lacoste et Greisch avec lesquels sa dette est plus avouée et plus honorée aussi par la qualité de l'étude) et pour les autres des inspirateurs admirés. Sans doute perd-on quelque peu en rigueur pour aborder telle ou telle pensée à partir d'elle-même (ainsi, la contribution sur Henry est à mon sens la moins réussie et il est dommage que la réponse qu'Henry y avait donnée n'ait pas été discutée à cette occasion) ; sans doute n'échappe-t-on pas au danger d'une certaine rapidité dans le traitement de questions profondes ; et si la pertinence des références et des citations révèle une grande connaissance de ces auteurs, leur abondance risque parfois d'étourdir. Mais l'apport le plus précieux selon moi est d'y découvrir les grandes options de la pensée d'Emmanuel Falque, pensée justement élaborée dans la fréquentation des oeuvres qu'il discute et la confrontation avec leurs approches. Cette pensée, telle qu'elle est déployée pour elle-même dans Passer le Rubicon, revient, lancinante, dans chaque étude, avec la constance du « hérisson », penseur d'une seule idée, ainsi que l'A. se décrit dans l'épilogue. Cette idée, la voici : pouvoir opérer un « choc en retour » de la théologie sur la philosophie, en pensant philosophiquement à partir des concepts et données théologiques et proposer ainsi une phénoménologie de l'expérience religieuse. Ceci conduit Falque à reposer sans cesse au point de départ, avec Foucault et Heidegger, la finitude et la facticité humaine (Falque s'en fait le gardien presque jaloux), contre tout tournant théologique de la phénoménologie (cf. Janicault) et toute « préemption de l'infini sur le fini », pour ensuite faire entrer l'expérience religieuse (et ainsi les données théologiques) au prisme de la finitude humaine que Dieu vient alors visiter et métamorphoser.
On pourra s'étonner de cette farouche « orthodoxie » heideggérienne et considérer d'un point de vue théologique qu'elle ne fait pas droit au désir naturel de Dieu tel qu'Henri de Lubac en a rappelé la présence au coeur de la condition humaine actuelle. Le sous-titre de l'ouvrage peut à ce propos nous questionner : disputes phénoménologiques et théologiques. Ce et en italiques indique une conception de la théologie peut-être trop vite réduite à son contenu révélé et propose un programme revendiqué par l'A. : non pas regagner une philosophie à partir de la théologie (cf. Balthasar) mais libérer la théologie par la philosophie (cf. Falque dans la ligne de Rahner). Ceci nous montre comment, derrière les options phénoménologiques, se cachent des options sur le rapport nature/grâce. Mais à vouloir réduire le théologique à ses données révélées positives (conception sans doute influencée par la conférence de Heidegger, Phénoménologie et théologie) pour les éclairer comme des possibilités phénoménologiques, une phénoménologie de l'expérience religieuse ne risque-t-elle pas de reproduire mutadis mutandi ce que Kant inaugura avec La religion dans les limites de la simple raison et ce que, plus proche de nous, Jean-Luc Nancy poursuit avec la déclosion du christianisme ? Le théologique peut-il alors encore être « l'honneur » du phénoménologue si les réalités divines ne se révèlent plus à la lumière de Dieu, mais du monde ? Qu'il me soit permis de poser cette question au terme de la lecture de cet ouvrage riche et stimulant. - A. Vidalin

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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