Le silence de Dieu face aux malheurs du monde

Bertrand Vergely
Filosofía - reviewer : Hubert Thomas
La question du mal n'a cessé de tarauder les humains. Et Dieu là-dedans? Devant ces questions et dans ces questions, bien des chemins ont été tracés, mais il y a des chemins qui ne mènent nulle part… La sagesse et ses raisonnements en philosophie ou en théologie échouent finalement dans une justification délirante. On peut dès lors comprendre le cri de révolte dont témoigne par exemple Ivan Karamazov. Mais si la sagesse a ses limites, la révolte aussi. B.V. explore de près cette attitude, son incontestable dignité, mais aussi bien ses dérives. Il faudrait voir en effet si la révolte augmente la vie ou finit par la corrompre. La pensée de Sade est à cet égard révélatrice de la dérive d'un athéisme qui n'a rien d'angélique. A. Camus dans L'homme révolté avait d'ailleurs déjà fait le procès de la révolte. Prônant un désespoir actif, se transformant en conscience et en fraternité, il refuse de croire à un seul sens du monde parce qu'on ne peut soulever le monde si le monde n'a qu'un sens. Pourtant Nietzsche a bien vu ceci: qui renonce au sens pour simplement vivre remplit la vie de sens en la remplissant de force. Comment se fait-il qu'Etty Hillesum puisse écrire dans un camp de concentration: «la vie est belle. C'est un sentiment inexplicable. Il ne trouve aucun appui dans la réalité que nous vivons en ce moment»?
Explorer ces différentes attitudes face au mal est nécessaire, non pas pour argumenter et raisonner contre mais pour mettre au jour les logiques invisibles qui commandent la réflexion. Tout d'abord il faut se déprendre du Dieu extérieur. Dieu a trop été enseigné comme extérieur, un Dieu politique ou un Dieu policier. Nous ne pouvons en parler qu'à partir de notre profondeur comme personne. Il ne suffit pas non plus de mettre l'homme à la place de Dieu pour ouvrir la vie. De l'avoir à l'être, c'est le chemin pour une culture où la personne est en exil. Quand on reproche à Dieu de ne pas intervenir quant à la souffrance des enfants, on oublie souvent la métamorphose nécessaire pour devenir un «Je suis». Naître à nouveau, devenir enfant, revenir à l'innocence. Loin du sentimentalisme facile, c'est là une conversion coûteuse (le combat spirituel dont parle Rimbaud) qui va vers la puissance de la douceur pour laisser la logique du pouvoir et de la dureté. Encore une fois, Dostoïevski a bien vu cela et le montre dans le personnage de Raskolnikof.
En fin de compte, est-ce Dieu qu'il faut mettre en cause et son silence? De quel Dieu parlons-nous? De quel homme aussi? Et surtout de quelle vie? B.V. cherche ainsi sa voie entre un athée qui tue Dieu pour que l'homme vive et un mauvais théologien qui tue l'innocence de l'homme pour sauver Dieu. Livre profond d'un philosophe qui habite le pays de la pensée, mais en même temps d'un spirituel qui n'oublie pas la terre promise. L'A. a sans doute le sens des formules mais, en s'engrenant les unes aux autres, celles-ci donnent parfois l'impression d'un maillage qui enserre la pensée et lui impose une nécessité qu'elle ne réclame pas. - H. Thomas osb

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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