Les Actes des Apôtres Pierre et Paul. Histoire, tradition et légende

J. Chocheyras
Sacra Scrittura - reviewer : Jean Radermakers s.j.
Voici une lecture séculière et critique des Actes des apôtres qui risque de déstabiliser certains lecteurs ou de leur poser question. Elle est l'oeuvre d'un disciple du regretté E. Delebecque, professeur émérite de l'Université Stendhal de Grenoble et spécialiste des légendes religieuses. A la suite de Loisy, puis de Couchoud et Stahl, et plus récemment de Boismard, Lamouille et Taylor, il tente de préciser, autant que possible, la genèse de la composition du second livre de Luc et de reconstituer au moins certains jalons de l'histoire authentique des apôtres Pierre et Paul, les deux protagonistes de l'oeuvre, au-delà des légendes recueillies par le rédacteur, et des libertés rédactionnelles qu'il prend par rapport aux faits réels pour «faire passer» sa thèse théologique. C'est donc un tout autre propos que celui que nous avons développé dans notre volumineux commentaire (cf. NRT 118 [1996] 273) mentionné par l'A. dans son introduction (p. 21).D'après lui, sur base de nombreux indices littéraires, la geste de Paul «apôtre des gentils» aurait été composée pour faire suite à l'évangile de Luc décrivant le ministère de Jésus auprès du peuple d'Israël. Par la suite, aurait été ajouté un recueil de traditions sur Pierre, agencées par un autre rédacteur, pour faire du «prince des apôtres» un portrait parallèle à celui de Paul, pareillement modifié par rapport à ses sources.Faisant état des remaniements successifs apportés au texte d'origine, il commence sa démonstration par l'histoire des «hellénistes», d'Étienne et de Philippe, qui laisse supposer une rupture au sein de la première communauté entre Juifs aramaïsés et Juifs hellénisants. Il reconstitue ensuite l'histoire de Saül, à la suite de S. Légasse et de M.-F. Baslez, puis il analyse de façon précise les aspérités du texte, montrant les coups de pouce du rédacteur définitif, qui souligne le statut social élevé de Paul, comme sa prise de distance par rapport au groupe des «apôtres» du Christ. Poursuivant son examen critique, l'A. suit la rédaction des Actes dans le récit de Paul en Asie mineure et à l'assemblée de Jérusalem, qu'il place en 42, soit sept ans après sa conversion. La même analyse rigoureuse du texte le mène à relire le périple européen de Paul et lui permet de détecter les modifications du second rédacteur concernant son retour en Syrie, puis son séjour à Éphèse, marquant chaque fois l'écart introduit par le rédacteur par rapport à la correspondance de Paul aux églises de ces régions, et il suggère une date postérieure à Paul pour le discours de Milet. L'A. continue de suivre Paul lors de son retour à Jérusalem, en notant toujours les interpolations du réviseur, comme dans les récits de l'arrestation et des comparutions - dont l'invraisemblance de celle devant le sanhédrin et de l'intervention du neveu de Paul - et spécialement celles devant Felix, puis Festus et Agrippa. Quant au voyage vers Rome, les interpolations du rédacteur sont passées au crible par l'A., qui s'étend aussi sur la fin des Actes, et parallèlement sur le martyre de Paul, en confrontation avec Josèphe et Clément de Rome. A la fin, il propose sa chronologie paulinienne.
Il examine alors l'histoire de Pierre: «voile de traditions plus ou moins légendaires, auxquelles le second rédacteur a fait des ajouts qui reflètent ses propres préoccupations, à savoir dresser un tableau édifiant d'une communauté groupée autour des Douze apôtres, inspirés en permanence par le Saint-Esprit, et dont Pierre est le chef incontesté.» (p.189). L'A. tente de débrouiller le texte pour en extraire le fond historique et les embellissements du réviseur. Il conclut que Pierre serait mort à Jérusalem en prison (cf. Ac 12) sous Agrippa Ier et il consacre un long chapitre à la naissance et au développement de la tradition concernant le voyage et le martyre de Pierre à Rome, textes à l'appui. Travail minutieux se basant sur les ouvrages de Ch. Grappe et les écrits de Justin et des Actes de Pierre publiés par Vouaux, puis il analyse l'histoire du tombeau de saint Pierre et l'histoire de la succession apostolique, soulignant l'imprécision des traditions.
La conclusion de l'ouvrage parle de l'enseignement de Pierre à travers les Actes. L'A. y lit une théologie différente de celle des hellénistes et de Paul. Il estime que «la doctrine officielle de l'Eglise a cumulé deux errements»: «un peuple juif historiquement responsable de la mort du Christ», et «un Christ mort pour nos péchés» (p. 293). En cela il paraît bien tributaire de l'interprétation protestante, défendue notamment par E. Trocmé.
Ce livre, impressionnant par son érudition et son acribie, présente des hypothèses ingénieuses, plausibles et même souvent convaincantes. Il nous invite à réfléchir sur la notion d'histoire dans la Bible. En fait, l'auteur de Luc-Actes raconte une «histoire théologique» de la croissance des premières communautés chrétiennes, c'est-à-dire déjà une interprétation à partir de l'action conjointe du Ressuscité et de l'Esprit saint. Il articule ainsi la mémoire des événements et leur lecture dans la foi, tout en donnant au lecteur la possibilité de dégager de la composition finale du texte les strates de développement progressif de l'interprétation salvifique des faits qu'il rapporte. Ainsi le récit des Actes est-il davantage qu'une histoire romancée ou gauchie de façon partisane; il se donne comme la lecture en profondeur de notre foi en Christ à travers les témoins authentiques que sont Pierre, Étienne, Paul et les autres. Les lecteurs formés sauront y trouver leur bien. Des plans, des cartes, une bibliographie complètent le volume, qui contient quelques coquilles orthographiques. - J. Radermakers, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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