Les sacrements à l’approche de la mort. Le viatique au passage de la mort dans la tradition de l’Église

Bénédicte Mariolle
Teologia - reviewer : André Haquin

L’axe majeur de la réforme liturgique de Vatican ii est le Mystère pascal. La présente recherche de Sr Bénédicte est issue d’une thèse doctorale consacrée à la ritualité de la mort et des mourants, funérailles comprises. Si l’abandon de l’Extrême-Onction au profit de l’Onction des malades – sacrement pour vivre la maladie dans l’esprit de l’Évangile – a été bien accueilli, il semble que le Viatique, pourtant remis en valeur par la réforme liturgique, n’a pas encore été « reçu » par les communautés chrétiennes. Et, cependant, il est un lieu privilégié où se dit la signification de la mort du chrétien. Pourquoi cette non-réception ? Sans doute parce que « la mort est rarement présentée dans sa dimension pascale et eucharistique » et parce que l’eucharistie est considérée comme « moyen à la disposition de l’Église pour assurer le salut des défunts » ; sans doute aussi en raison de la « résistance du schéma des fins dernières, enfer, ciel, purgatoire » – et des « repères médiévaux qui fonctionnent en théologie sacramentaire », c.-à-d. le langage métaphysique (p. 366-367). Loin d’être une étude consacrée à la seule théologie des sacrements, le travail embrasse largement le champ dogmatique et fournit des éléments pour une éthique chrétienne. Il prend en compte les données culturelles, la situation actuelle de la médecine, l’évolution des mentalités et des pratiques concernant la mort, etc. C’est non seulement la théologie qui est en question, mais également la philosophie. Le recours à l’exégèse biblique, à l’histoire et à la Tradition s’avère essentiel pour faire progresser la réflexion.

L’histoire de la ritualité chrétienne de la maladie et de la mort comporte trois périodes, les viie-viiie s., le Moyen Âge et son aboutissement au xvie s., et le renouveau exégétique et liturgique impliqué dans la réforme de Vatican ii. Les Ordines Romani du premier millénaire conçoivent le viatique comme accomplissement de la Pâque ; du viatique à l’inhumation, la séquence est marquée par l’espérance pascale, tant dans les psaumes (« In exitu Israël ») que les chants (« In paradisum ») et les lectures (voir « Le viatique, signe de l’accomplissement pascal », p. 47-78). Le Christ ressuscité apparaît comme la « clé eschatologique » d’interprétation de la mort du chrétien. Le Rituel de 1614 (pénitence, viatique, extrême-onction, funérailles) est marqué par une théologie des sacrements conçus comme « moyens de salut », par la crainte de l’enfer et du jugement (« Dies iræ ») et par une présentation des « fins dernières » calquée sur l’espace (purgatoire, ciel, enfer) et la temporalité terrestres (jugement particulier, suivi du jugement général). N’est-il pas davantage la « consécration de la mort » plutôt que l’« achèvement baptismal » ? (p. 112). Bref, la belle « synthèse » des premiers siècles est ici « éclatée » et le Mystère pascal du Ressuscité s’est comme estompé. La réforme de Vatican ii (Coetus xxiii), sans revenir à la période patristique et aux premiers siècles, en retrouve les intuitions profondes soutenues par les affirmations centrales de l’Écriture : « Le Viatique, signe eschatologique de l’économie du salut » (p. 225-311). Il prend en compte non seulement les sacrements, mais les signes sacramentels (sacramentaux). Il retrouve une eschatologie plus proche du NT. De plus, la corporéité du malade et du mourant et l’unité de la personne sont remises en valeur. L’imaginaire médiéval sur les « temps » et les « lieux » de l’au-delà n’a plus la priorité. La célébration de l’eucharistie en viatique apparaît comme le sacrement de la Pâque du Christ, avec l’Alléluia, le cierge pascal, l’eucharistie et la communion sous les deux espèces à laquelle des membres de la communauté chrétienne sont invités à participer. La communion du « grand passage » est l’achèvement de l’itinéraire pascal ; elle est porteuse de l’espérance de la résurrection (Jn 6,54). Elle s’inscrit dans la dynamique baptismale, l’eucharistie arrivant au terme du catéchuménat et de l’initiation chrétienne. C’est dès le baptême que s’inaugure la « vie éternelle » dans le compagnonnage avec le Christ et les frères chrétiens. Tous les autres rites et sacrements s’éclairent à partir de l’initiation chrétienne. La métaphysique théologique fait place à l’anthropologie biblique qui échappe au dualisme grec, et aussi à la phénoménologie et à la dimension relationnelle de la personne humaine.

Dans une large conclusion (p. 313-368), l’A. reprend son « hypothèse de travail » selon laquelle les trois schémas de l’histoire articulent plus ou moins bien les réalités essentielles que sont l’Eucharistie, l’Église, le Salut, ou encore le corps eucharistique du Christ ressuscité, son corps ecclésial, et le corps du chrétien appelé au salut. L’eucharistie, sacrement de la communion, est la clé d’interprétation de l’existence chrétienne, le baptême étant l’entrée dans l’eschatologie. Le corps personnel du fidèle, le corps ecclésial et le corps du Christ ressuscité manifestent le mystère final de la résurrection de la chair. De plus, ce type de théologie fait une place privilégiée à la Trinité, et en particulier à l’Esprit saint par qui le Père a ressuscité son Fils.

Quant à la reconfiguration éthique de l’existence chrétienne, elle est structurée par les sacrements de la Pâque. Il convient de prendre en compte le don eschatologique fait par Dieu dans le mystère pascal, qui se déploie dans l’histoire, « tout étant accompli » par le Christ, mais « tout étant à recevoir » au fil des siècles par la réponse libre de l’homme. Ce n’est donc plus la mort qui polarise le rituel chrétien comme au Moyen Âge, mais la Résurrection qui fait son œuvre dans le croyant dès le baptême et culmine dans la résurrection de la chair.

Souhaitons qu’une telle liturgie et une telle herméneutique puissent être développées par d’autres théologiens et mise en œuvre par les pasteurs. S’il en est ainsi, on pourra dire que la pastorale des malades et des mourants et les funérailles chrétiennes sont une sorte de « révélation » ou d’« épiphanie » offerte à ceux qui réalisent le « grand passage » et à ceux qui les accompagnent dans cet itinéraire marqué par l’espérance. — A. H.

newsletter


the review


La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

contact


Nouvelle revue théologique
Boulevard Saint-Michel, 24
1040 Bruxelles, Belgique
Tél. +32 (0)2 739 34 80