Vsévolod Krirochéine (1900-1985), fils d'un ministre du tsar
Nicolas II, était étudiant à Saint-Pétersbourg lorsqu'éclata la
révolution de 1917. Il rejoignit l'armée blanche, puis s'exila en
France et étudia à la Sorbonne. En 1924, il se fit moine au Mont
Athos où il participa un temps au gouvernement de cette république
monastique et consacra une partie de son temps à l'étude de la
patrologie de manière scientifique. Il fut ordonné prêtre en 1951,
sacré évêque-vicaire de l'exarchat de l'Église orthodoxe russe en
Europe occidentale en1959, enfin nommé archevêque de Bruxelles et
de Belgique en 1960, charge qu'il assuma jusqu'à son décès.
L'ouvrage que voici contient ses souvenirs des journées de février
1917 à Saint-Pétersbourg et de son équipée dans l'armée blanche
(ch. 1 et 2). Les ch. 3 et 4 sont constitués des portraits des
métropolites Nicolas Iarouchévitch (1892-1961) et Nicodème Rotov
(1929-1978) qui, entre autres, furent tous deux Présidents du
département des relations extérieures du patriarcat de Moscou. Le
second fut particulièrement engagé dans le dialogue oecuménique et
mourut à Rome lors d'une audience avec le pape Jean-Paul Ier. Le
ch. 5 relate les souvenirs du prélat concernant le concile local de
l'Église russe de 1970 au cours duquel se déroula l'élection du
patriarche Pimène. Ce sont certainement les trois derniers
chapitres qui retiendront le plus l'attention. Car, à travers ces
deux portraits et le récit relatif au concile de 1970, on perçoit
combien l'Église russe était en très grande difficulté vis-à-vis du
pouvoir soviétique, allant parfois jusqu'à l'inféodation totale, ce
qui n'était pas sans répercussion sur les parties de cette Église
vivant hors de l'URSS, pas nécessairement plus libre d'exprimer ses
opinions. Nettement moins contraint que ses collègues de sa terre
natale, l'A. nous livre aussi des appréciations pas toujours très
amènes à leur égard, encore qu'il soit bien ardu de démêler ce qui,
chez ces prélats, relevait de la prudence, de la diplomatie, de
l'allégeance pure et simple au régime, voire tout simplement des
qualités et défauts qui peuvent se trouver chez tout un chacun. Ces
documents révèlent également certaines divergences de vue entre les
différentes composantes de l'Orthodoxie. Par ailleurs, il n'est pas
inintéressant de remarquer que l'oecuménisme n'est pas
nécessairement envisagé de la même manière par le monde orthodoxe
que par le monde catholique. Dans son portait de Nicodème, l'A.
écrit: «ce qui nous indignait surtout chez le métropolite Nicodème
(tant en Russie qu'en Occident), c'était son emballement pour le
catholicisme. C'était un engouement assez irrationnel, presque
pathologique» (p. 353). Et manifestement, à ce que rapporte l'A.,
cet avis était assez bien répandu dans la hiérarchie russe. Voilà
en tout cas un livre qui est «une» porte d'entrée pour comprendre
l'univers orthodoxe russe durant la période soviétique d'après la
Seconde Guerre mondiale. - B. Joassart sj