Des pans entiers de la spiritualité islamique nous demeurent
presque inconnus. Ce livre explore un domaine bien particulier et
cependant vaste: l'Asie centrale, jusqu'aux marches des mondes
chinois et tibétain, entre 1660 et 1760 environ. Mashrab le Buveur,
Zalîlî le Vil, Nidâ'î le Bruyant: nous sommes invités à suivre les
pérégrinations de ces trois soufis itinérants dont la liberté
d'allure et la pauvreté volontaire suscitent les quolibets, le
blâme ou bien une admiration proche de la vénération. Le qalandar,
c'est «le mendiant, le miséreux, le fou, mais nimbé de sainteté;
c'est le vagabond, en quête de pain et d'extase; c'est le mystique
qui erre vers un lieu connu de lui seul» (p. 12). Ces marginaux
demeurent proches du petit peuple. Leur vagabondage les mène de
ville en bourgade, de tombe de martyr en lieu de rencontre de
disciples soufis. Leur errance est l'image et la rude école d'un
itinéraire intérieur auquel des récits de voyage, des recueils de
poèmes et quelques développements plus didactiques nous entrouvrent
l'accès. Voici, traduits du persan et surtout du turc, reliés par
un commentaire éclairant, de larges extraits des écrits qui,
recopiés de génération en génération, sont parvenus jusqu'à nous.
L'orientaliste érudit pourra suivre, dans les notes, un essai de
reconstitution de leurs itinéraires et du contexte historique et
religieux. Le lecteur simplement curieux de l'esprit qui animait
ces «fous de Dieu» ou ces «pauvres en Dieu» se laissera guider par
leurs chants sans s'encombrer d'un bagage savant: selon Zalîlî,
«Sincérité et abandon sont les deux provisions du voyage» (p. 141).
- J. Scheuer sj