P.V. regroupe ici quelques-uns de ses articles récents sur
Nietzsche, accompagnés de deux inédits, le tout constituant un
ouvrage très cohérent. Bien souvent, Nietzsche a été compris en
contredisant sa lettre même. On a fait de lui un irrationaliste,
alors qu'il proclame un «gai savoir». Certes, il frappe au marteau
sur la prétention à dire «le» sens, mais c'est pour empêcher de
l'entendre trop étroitement. Nous sommes finis, et nos points de
vue, particuliers; nous avons à renoncer à nous prendre pour plus
que nous sommes. La science se fourvoie quand elle s'imagine
posséder le monde; elle exerce en fait une volonté faible,
incapable d'accepter la réalité splendide qu'elle rétrécit à ses
mesures. De façon habituelle, la raison, qu'on respecte à condition
qu'elle ne soit que logique et norme ontologique, aide à s'orienter
dans un monde compliqué; mais elle ne répond ainsi qu'à un besoin
biologique, ne faisant voir au terme que la mort; cette raison,
maladive, exprime la grande peur d'être trompé, décentré de soi.
Une critique semblable est adressée au droit; Nietzsche méprise les
démocraties qui éliminent les différences entre les citoyens; il y
voit une volonté faible, animée par le désir de vengeance,
incapable de respecter noblement ce qui est autrement. Quant au
christianisme, selon P.V. qui s'oppose à ce sujet à Deleuze et
Heidegger, il constitue pour Nietzsche le seul adversaire à son
hauteur; c'est que l'expérience intellectuelle de Nietzsche est
elle-même «mystique» (p. 82). Toutes ces réflexions pointent en
direction d'un même thème, celui de l'éternel retour, dont
l'expérience «n'arrache pas à la finitude et à l'instant» (p. 92);
l'éternel retour n'a rien d'un destin cosmique horrible ou d'un
bavardage divertissant; son expérience pousse plutôt à bout le
désir en le faisait désir d'éternité; mais l'éternité est un femme
«à distance bien plus qu'elle ne se donne» (p. 92). - P. Gilbert,
S.J.