Dans une première partie, l'A. revoit la manière dont chacun des monothéismes traite l'idée de Dieu, et il affine ses analyses précédentes. Il en arrive à la conclusion «qu'il y aurait, pour ainsi dire, trois 'Dieu' distincts, correspondant à trois approches singulières du rapport à l'être, à trois gestions du narcissisme collectif qui connaissent des destins différents» (p. 13-14). Il s'agit en effet de questions de vie qui mobilisent des modes d'être et des niveaux de vérité distincts. Une brève introduction sur l'origine des trois monothéismes précède un examen approfondi du judaïsme, du christianisme et de l'islam, qui aboutit à la constatation d'une rivalité entre les trois religions pour détenir le message authentique en s'appropriant l'origine; d'où l'angoisse juive, la phobie musulmane, l'inquiétude chrétienne. Ainsi, un même produit, Dieu, est distribué de triple façon. Mais s'agit-il du même Dieu? Et finalement, qu'est-ce que Dieu?Il faut, pense l'A., «dépasser l'idée de Dieu comme figure du narcissisme» (p. 162); tel est l'objet de la seconde partie du livre: la question-Dieu. Certes, chacun se construit son Dieu, mais «de quoi est fait l'emplacement du divin?» (p. 165): est-ce un 'nom' ou un 'lieu'? Le lieu de nos états-limites, une faille, où s'inscrit une symbolique, où la vie se renouvelle: Dieu, rapport extrême aux fractures de nos vies? Fait-on exister Dieu en croyant? Ainsi, toute idée du divin passe par «la faille chargée d'appels» (p. 173) au plus profond de nos expériences humaines. Mais peut-on établir l'existence objective de Dieu? Passant en revue les «preuves» qu'on en donne, l'A. montre que toutes, elles «cachent que Dieu est un rapport» (p. 233); creusant ce terme d'existence, il en arrive à approfondir la notion de croyance, dans des pages pénétrantes entrecoupées d'«intermèdes» explicatifs à partir de la vie: «Croire, c'est souvent fixer l'amour sur autre chose que soi… l'amour de l'être comme du possible» (p. 286-287). Après avoir marqué les limites de Freud sur la question-Dieu, il conclut: «Quant à Dieu, l'imprononçable de chaque langue, le premier mot absent ou le dernier manquant dans chaque langue de vie, l'impensable de chaque pensée,… tout le monde à affaire à lui, surtout les athées, ou ceux qui, sur le mode narcissique, prennent sa place…» (p. 316). Une annexe nous ramène aux religions: le Dieu de la Bible, Allah découvert par les chrétiens, la prière psychanalysée; elle donne à penser.
Cette lecture séculière, rugueuse, décapante, exigeante et finement conduite, remettra en question beaucoup de nos manières de croire, mais c'est au bénéfice d'une plus grande vérité, si nous avons le courage de suivre l'A. dans l'écriture de sa réflexion, qui, de son propre aveu, a été pour lui une «dure épreuve». Un grand livre, qui nous rappelle l'hymne du regretté P. Didier Rimaud: «Dieu, au-delà de tout créé, nous ne pouvions que t'appeler l'Inconnaissable… Béni sois-tu!». - J. Radermakers, S.J.