Depuis les années 1930, plusieurs approches ont tenté d'élucider le
rapport de Heidegger à la foi et à la théologie. Quatre traits, au
jugement de l'A., peuvent les rassembler: diagnostic d'une version
sécularisée de la théologie chrétienne, doublé d'une théologie des
concepts fondamentaux de l'analytique du Dasein;
délimitation des champs thématiques et conceptuels entre la
philosophie et la théologie; mise à l'épreuve de la déconstruction
onto-théologique; confrontation de la thématisation heideggérienne
de la question de Dieu avec la tradition chrétienne et la tradition
juive. Ces analyses ont laissé sans solution pas mal de problèmes,
irrésolus chez Heidegger lui-même. Plusieurs inédits du philosophe
publiés depuis vingt ans et les recherches sans cesse menées à son
propos permettent de reprendre ces questions à frais nouveaux. Ce
fut la tâche du présent ouvrage, et ses apports sont remarquables.
Ph.C. a situé son travail sous deux thèses, liées l'une à l'autre.
La première pose que la pensée heideggérienne s'est élaborée dans
la tension permanente entre philosophie et théologie. La seconde
tient que les rapports entre philosophie et théologie y obéissent à
une triple topique. Il importe d'abord de remarquer qu'une analyse
à la fois synchronique et diachronique fait apparaître la
plurivocité des termes de philosophie et de théologie. Celle-ci, en
effet, se rapporte tantôt à la théologie néotestamentaire, tantôt à
la théologie comme constituante de la métaphysique occidentale,
tantôt à une nouvelle quête du divin et du dieu. Quant à la
philosophie, elle signifie soit le questionnement qui se saisit de
la question de l'être, soit le parcours achevé de la métaphysique
occidentale, soit la simple codification disciplinaire de
l'expérience de la pensée.
En ce qui concerne les rapports entre philosophie et théologie,
l'A. distingue chez Heidegger une triple problématique. La première
s'interroge sur la relation entre philosophie et théologie
scripturaire: ici la science ontologique, appliquée à la seule
question de l'être, est en débat avec la théologie chrétienne qui
est science ontique, élaborée à partir de la foi. La deuxième fait
apparaître la solidarité de la philosophie et de la théologie, où
se dévoile la constitution onto-théo-logique de la métaphysique.
Quant à la troisième, elle révèle un rapport nouveau, celui qui
distingue pensée de l'être et attente du dieu, par delà toute
référence chrétienne ou anti-chrétienne. L'A. s'attache à examiner
cette triple topique pour ressaisir ensuite les motifs et le
processus de leur élaboration, et pouvoir ainsi interroger, à
l'intérieur de ces perspectives mises en lumière, la nature des
rapports entre philosophie et théologie. Ces rapports apparaissent
comme une tension du penser même de Heidegger. Trois termes peuvent
les caractériser: l'enracinement catholique qui ouvre au
questionnement philosophique; la dette envers la théologie qui a
permis l'herméneutique heideggérienne de la facticité et de
l'ouverture des contenus théologiques à l'horizon
ontologico-temporal; la provenance, enfin, qui révèle l'écart de la
philosophie vis-à-vis de la théologie et le temps inachevé de leur
conversation, car «provenance, à qui va plus loin, demeure toujours
avenir». - H. Jacobs, S.J.