Que m'est-il permis d'affirmer ? Philosophie des confessions
Philippe BüttgenFilosofía - reviewer : David Rabourdin
En 7 chap. dont les analyses serrées soutiennent un questionnement précis, érudit, toujours stimulant, le défi relevé par l’A., professeur de philosophie des religions à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, en ce livre magistral, est double. D’une part, considérer la diversité des sens de ce que l’on appelle confession – « un acte, un texte et un groupe » (p. 267) –, depuis le « formulaire » qui recueille les articles de confession de foi, jusqu’au mouvement de « confessionnalisation » caractéristique du siècle de la Réforme, en passant par la polysémie réglée du terme chez Augustin, mais aussi par le témoignage (« l’étonnante passion du témoignage qui nous a saisis en philosophie », p. 105) et les « manifestes » ou « déclarations » (« depuis trente ans, la philosophie manifeste ; elle affirme, s’affirme, dans des textes courts, sans slogans mais constamment reliés à l’écriture militante », p. 202), pour en cerner l’unité, tramée autour d’une notion appartenant à la philosophie des « actes de parole », le statement d’Austin, toujours interrogé ici. D’autre part, tenter de mesurer la force (p. 197), le sérieux (p. 76), l’intensité ou la solennité (p. 11), qui s’attachent à l’affirmation lorsque celle-ci se fait kérygme, credo, attestation, confession, manifeste, déclaration, aveu, serment, rituel, répétition, etc. : que faisons-nous lorsque nous affirmons, et, à la limite, « savons-nous ce que déclarer veut dire ? » (p. 126). L’interrogation délaisse les réflexions sur l’engagement personnel, l’intention, le sentiment religieux, la foi, pour s’attacher aux indices de continuité et aux signes d’inflexion historique de cet acte de parole qu’Aristote appelait apophansis, affirmation, que la philosophie du langage appelle statement, qui chez St Paul se nomme homologia, et qui fut développé comme credo, professio ou confessio. Quels sont les outils pour en étudier les effets ? Sans cesse la notion de « performatif » est écartée comme trop évidente, trop peu précise, trop peu élaborée, trop rapide. Si « les énoncés religieux ont pour propriété essentielle de se dire » (p. 59), et si les « formulaires » des grandes religions – Symbole des Apôtres, shahada de l’Islam, Trois Refuges du bouddhisme – sont « les paroles que l’humanité prononce le plus souvent et depuis le plus longtemps » (p. 13), alors il y a un sens à sonder les ressorts de l’affirmation religieuse, et à poser, à l’heure de la multiplication des déclarations et manifestes, la question de « l’ampleur de la matrice chrétienne de la déclaration » (p. 234). Et si « la religion, c’est affirmer ensemble » (p. 281), alors – fruit des analyses patiemment développées ici – il y a un sens, aussi, à fonder aujourd’hui la « laïcité » sur un « art de l’écoute » (p. 285) plutôt que sur un « art visuel », préoccupé de la seule « longueur des voiles » et de la « taille des croix » : « pendant que nous mesurons, avec tant de soin, les longueurs et les ourlets, personne ne parle et personne n’écoute », déplore l’A. en son très pertinent propos conclusif (p. 280).
Quelques lignes limpides, à l’ouverture du 2e chap., permettent de recueillir l’ambition réflexive offerte par cette « philosophie des confessions », ainsi que sa portée pour la « philosophie des religions » : « Nos religions sont analytiques parce que leur langue est formulaire : prières, confessions de foi, formules liturgiques. Il faut donc une philosophie analytique des religions parce que les religions sont formulaires. Il faut encore, cependant, une autre philosophie des religions pour comprendre pourquoi elles le sont. C’est cette autre philosophie des religions qui se prépare dans une philosophie des confessions » (p. 55). L’interrogation réflexive ouverte par cette « autre philosophie des religions », qui est « philosophie des formules de foi » (p. 15), et qui porte en elle les prémisses d’une « philosophie des rituels » (p. 71), n’emprunte ni la voie – hégélienne – de l’« interprétation spéculative » d’un credo donné (p. 61, cf. aussi p. 87), ni celle – barthienne – de la fondation théologique du credo comme « “acte” de l’Église, sans raison d’être en dehors de celle-ci » (p. 61). Elle ne se satisfait pas non plus d’un apophatisme qui, sous prétexte de rigueur théologique, méconnaîtrait la libéralité soulignée en son temps par St Augustin : « À Dieu rien n’est impossible, pas même de permettre qu’on parle de lui à peu près comme il faut. La toute-puissance ne requiert pas l’indicible. […] Vouloir (nous) confesser (à) Dieu aussi bien que Dieu nous aime, c’est outrepasser son commandement » (p. 148, en discussion vigoureuse avec J.-L. Marion). Enracinée dans une « confiance dans le langage » (p. 210), l’interrogation de l’A. est aussi ample que son objet, et se déploie en une lecture stimulante de St Jean, de St Paul, d’Augustin des Confessions, aussi bien qu’en une interprétation serrée des œuvres d’Austin, de Levinas, de Foucault, de Derrida et d’Agamben – liste non exhaustive. — D. Rabourdin