Cohen 1842-1918 et Cassirer 1874-1945: deux philosophes juifs
semblables et différents, le maître et le disciple; semblables
notamment dans leur refus de se convertir, mais différents car le
premier retrouva sur le tard sa quasi-vocation de rabbin alors que
le second est un juif assimilé de la bourgeoisie berlinoise, dont
beaucoup ignoraient la judéité. Pour la présentation du premier,
nous renvoyons à l'ouvrage précédent de Marc de Launay. Pour le
second, signalons que nous nous référons principalement à sa
Philosophie der symbolischen Formen 1923-1929, laissant de côté les
oeuvres de la phase américaine. Nous nous intéressons donc ici au
Cassirer qui tente d'intégrer en un système critique général
sciences naturelles et sciences humaines, attentif au mythe, à la
religion et à toute culture, ouvrant ainsi la voie à
l'herméneutique contemporaine. Comme l'explique très clairement O.
Schwemmer dans une contribution charnière (p. 95-118), Cassirer,
partant d'une théorie du développement de la culture fondée entre
autres sur les concepts d'expression, d'identité de la personnalité
aux travers d'une pluralité de formes symboliques, de pensée et
d'action, en vient à opérer une sorte de déduction transcendantale
qui montre comment la religion s'extrait du mythe par un processus
d'objectivation s'appuyant sur la parole, l'outil technique et
l'oeuvre d'art: entre le mythe et la religion, une même base
sémantique mais deux grammaires opposées, celle de l'identité pour
le mythe et celle de la différence pour la religion. Celle-ci garde
d'ailleurs en elle-même une tension entre un côté plus sacramentel
et un côté plus éthico-prophétique. Situons les autres
contributions autour de cette charnière. H. Holzhey (21-38) montre
la continuité philosophique de la pensée de Cohen, même lorsqu'il
parle de religion. H.-L. Ollig (39-54) prend son point de départ
dans la philosophie analytique. M. Zank (55-68) montre l'alliance
entre religion prophétique et rationalité humaine chez Cohen, avec
beaucoup d'allusions à Cassirer. Z. Levy (69-83) rappelle
l'opposition de Cohen à Spinoza et à tout panthéisme - thème
passionnant et très révélateur de l'un et l'autre. M. Bongardt (
137-154) attire l'attention sur l'intérêt de Cassirer pour une
théologie des religions. H. Paetzold (155-174) s'intéresse à la
période américaine de Cassirer. Eveline Goodman-Thau (175-191),
rabbin orthodoxe, réalise une belle comparaison Cohen-Cassirer sur
le plan esthétique et éthique. R. Margreiter (192-211) esquisse
leur rapport à la mystique, le premier plus opposé, le second plus
souple. M. Brumlik (84-94), M. Jung (119-124), T.H. Stark (125-136)
ont également contribué à cet ouvrage. - B. Pottier sj