Sartre et l'authenticité. Vers une éthique de la bienveillance réciproque

Y. Salzmann
L'A. entend redécouvrir l'ensemble de l'oeuvre de Sartre en prenant le point de vue de l'intersubjectivité. Les Cahiers pour une morale, publiés en 1983 mais rédigés dès 1947-1948, développent dans cette direction des éléments annoncés à la fin de L'Être et le néant. «L'enfer, c'est les autres», disait le dramaturge. Mais, fait voir l'A., une morale de bienveillance est quand même possible pour Sartre, et sans «rupture épistémologique» (p. 14). Cette thèse, surprenante pour qui connaît Sartre à travers les manuels, est développée en montrant l'importance de la notion d'authenticité qui, discrète dans la lettre sartrienne, est cependant capable d'en soutenir tout le sens. L'ontologie de Sartre est certes très marquée par des oppositions, par la néantisation. «L'essence des rapports entre consciences n'est pas le 'Mitsein', c'est le conflit», disait L'Être et le néant (cité p. 91-92). Mais les Cahiers complètent en morale ces thèses d'ontologie. Le conflit met au jour la contingence. Ainsi, «accepter ma contingence corporelle et dans un même don de réciprocité respecter et protéger celle d'autrui apparaît… comme une manifestation de l'authenticité» (p. 124). Cette acceptation est bien sûr un projet plus qu'un constat; Sartre est soucieux des phénomènes de violence qui naissent du rejet de la diversité d'autrui. Cependant, dans sa perspective, il ne peut pas y avoir de morale absolue, mais seulement une recherche d'attitudes morales attentives à l'«universel singulier». Cette dernière notion, façonnée par Sartre en 1964 lors d'un colloque sur Kierkegaard, ne connaît cependant aucune médiation intérieure; à notre avis, elle ne sort pas de l'atomisme de la liberté, origine réelle de la violence. L'ouvrage aboutit à louer une bienveillance très ouverte, certes, mais en absolutisant la contingence, sans aucune pénétration mutuelle des libertés. L'A. ne dit pas non plus pourquoi nous tenir sur nos gardes pour aimer vraiment autrui: il n'est malheureusement pas vrai que la liberté concrète soit immédiatement bonne. - P. Gilbert, S.J.

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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