Théologie de l’écologie. Une création à partager

François Euvé
Teologia - reviewer : André Haquin

Physicien de formation et théologien, professeur au Centre Sèvres (Paris) et directeur de la revue Études, le p. Euvé, s.j., auteur de nombreux ouvrages, entreprend une théologie de l’écologie en revisitant la théologie de la création. Il invite ses lecteurs, dans la ligne de l’encyclique Laudato si’, à entrer dans une démarche de « partage de la Création » et de « co-responsabilité ». Ce livre est sans doute le fruit d’un enseignement universitaire.

L’attitude des chrétiens et de l’Église a été diversement appréciée au cours des temps. Tantôt on les critique pour leur défiance envers la raison et le progrès humain, tantôt on les rend responsables de l’« anthropocentrisme », qui prévaut depuis des siècles, et aurait entraîné la destruction de la planète dont la crise actuelle serait le signe et le résultat. Cette seconde position est celle de Lynn White (1907-1987), éthicien et historien protestant. La théologie de la création et l’interprétation des récits de la Genèse seraient responsables de la domination et de l’exploitation de l’homme sur le cosmos, tant sur le monde matériel qu’animal et végétal. Dieu lui-même n’apparaît-il pas « tout-puissant » dans les récits de la création et l’homme n’a-t-il pas montré cette même toute-puissance à l’invitation de Gn 1,28 l’invitant à « dominer la terre et à la soumettre », lui qui est « créé à l’image de Dieu » (Gn 1,26) ?

Les longs développements de l’ouvrage ont pour but de contextualiser les doctrines et les pratiques. Ils montrent que les positions de l’Église sont tributaires de la culture de chaque période, et qu’elles n’ont cessé d’évoluer au gré des questions nouvelles. Ainsi les Cisterciens du Moyen Âge ont fait fructifier la terre reçue de Dieu et ont appris à leurs contemporains de nouvelles techniques. De même, Vatican ii, soucieux d’entrer en dialogue avec le monde, a fait preuve de bienveillance dans son appréciation des réalités terrestres et s’est montré optimiste, mais non naïf, sur les progrès des sciences et des techniques (cf. Gaudium et Spes) alors qu’un concile du xxie s. serait beaucoup plus attentif aux dérives de l’exploitation du cosmos que chacun aujourd’hui peut constater et dénoncer. La théologie de la création au Moyen Âge fait l’objet d’une grande finesse d’analyse. Bonaventure se montre moins accueillant que Thomas d’Aquin au travail de la raison. Le Nouveau Monde de la Renaissance a enthousiasmé la planète par ses découvertes et les réussites de l’esprit humain. Et que dire des progrès des sciences depuis le xviiie s., et en particulier de la médecine en notre temps ?

François Euvé plaide pour une nouvelle théologie de la création, plus en phase avec les textes bibliques revisités d’une manière magistrale depuis une petite centaine d’années, tant du côté protestant que catholique. On fait remarquer, p. ex., que la Création est intimement liée au Salut : ainsi Dieu à la création met de l’ordre en « séparant » et en « ordonnant » les éléments qui doivent l’être, comme il fendra la mer pour sauver son peuple de l’esclavage d’Égypte. Le monde auquel l’homme appartient ne doit être ni divinisé, ni sacralisé, ni réduit en esclavage, mais faire l’objet d’une gérance (oikonom) individuelle et collective « en bon père de famille ». Le salut vient de Dieu et la création apparaît aujourd’hui comme l’œuvre des trois personnes divines, elles-mêmes marquées par la communion et le caractère relationnel. L’humanité peut s’inspirer de ce respect mutuel des personnes de la Trinité et de la douceur avec laquelle Dieu traite toutes ses créatures. L’institution du Sabbat est loin d’être une réalité anecdotique. Le « repos de Dieu » est significatif de sa « démaîtrise » sur la création et de la confiance dans l’humanité qu’il a créée libre et responsable du jardin dont il lui a fait don. Ce bonheur de Dieu s’exprime dans le refrain « Il vit que cela était bon ! » qui ponctue chaque nouveau jour. Ce même bonheur pourrait être celui de l’humanité tout entière si elle entrait dans un processus de conversion pour le bien des frères et sœurs du monde, souvent malmenés et celui des autres espèces. Il s’agirait de redécouvrir que la liberté de l’homme a des limites, qu’elle est normée par sa responsabilité et son amour du Créateur. L’écologie ne peut donc être seulement en quête de techniques permettant d’éviter les catastrophes, mais postule un changement de regard et d’attitude. N’est-ce pas cette « écologie intégrale » à laquelle François appelle dans Laudato si’ ? L’A. plaide pour un retour à la spiritualité, c.-à-d. à un intérêt non seulement pour les moyens de sortir de la crise, mais pour une considération des objectifs à long terme. Pour tout dire, il plaide pour la prise en considération de la vocation eschatologique de la création divine. Somme toute, pour une nouvelle théologie de la création. Ce beau livre, de lecture agréable, est aussi un ouvrage érudit par ses connaissances de type scientifique et philosophique, historique et théologique et sa documentation de qualité. — A. Haquin

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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