Théologie négative et noms divins chez saint Thomas d'Aquin

Thierry-Dominique Humbrecht
Teologia - reviewer : Hubert Jacobs
La question posée par cette étude, dense et copieuse, est la suivante: y a-t-il une théologie négative chez saint Thomas et, si, oui, laquelle? Mais, d'abord, qu'est-ce qu'une théologie négative? Pour l'A., on entend par là une théologie qui «s'attache à désigner tout ce que l'on ne peut pas dire sur Dieu». Elle sera radicale si elle se déclare inapte à nommer Dieu de façon adéquate, ce qui, à la limite, pourrait aller jusqu'à une théologie sans Dieu.
Elle sera modérée si «elle détermine les modalités qui corrigent la connaissance de Dieu, inconnu en son essence mais pas en son identité». Il s'agit donc de s'interroger sur «l'articulation et l'extension respective de ce qui peut être affirmé et de ce qui doit être nié» de Dieu. Thomas d'Aquin traite à plusieurs reprises la question des noms divins, mais l'expression «théologie négative» n'apparaît jamais chez lui, pas plus que chez Denys.
L'enquête du Père Humbrecht se veut sereine et respectueuse de toutes celles qui l'ont précédée. Malgré l'intime relation qui les relie aux noms divins, il ne s'agit pas d'une nouvelle étude sur l'analogie et la participation. Thomas d'Aquin est le lieu de cette recherche avec, évidemment, la confrontation à son contexte historique. Mais le contexte actuel n'est pas négligé et l'Introduction en brosse un remarquable panorama tant en ce qui concerne les positions doctrinales que les études historiques. L'A. nous détaille lui-même le plan de son ouvrage. La première partie pose la question de l'identité spéculative des noms divins, de leur traitement et des variations de celui-ci. La deuxième partie est surtout consacrée à l'étude de Denys par Albert le Grand et saint Thomas. La troisième partie étudie l'être de Dieu et la connaissance que nous en prenons.
C'est, en effet, dans le cadre de l'être de Dieu que Thomas fonde sa doctrine des noms divins. L'ouvrage se termine par une synthèse où s'exprime l'affirmation conclusive: «Il y a une théologie négative chez saint Thomas et voici laquelle». Certes, Thomas a évolué dans sa manière d'aborder les noms divins; sa doctrine à ce sujet suivant la même courbe que celle qui constitue son approche de l'analogie. L'A. y distingue plusieurs périodes. Philosophique et théologique en même temps, cette évolution de saint Thomas est cependant modérée. Révélerait-elle pourtant une ambigüité de sa pensée?
Les sources de saint Thomas ne sont pas toujours compatibles entre elles. Ce qui explique les déplacements de vocabulaire qui en résultent parfois. Mais la pensée qui les saisit demeure aussi unifiée que sereine! «… Les noms divins ne se réduisent pas à un cas particulier (appliqué à Dieu) de la question de l'analogie et de la participation, même s'ils supposent leur concours et leur détermination sans cesse reprise». Ne pouvant se passer de concepts, notre discours sur Dieu est une connaissance. Mais ces concepts, étant liés aux créatures, «refusent à Dieu toute raison qui prétendrait offrir une connaissance de son essence. Connaître Dieu, c'est connaître qu'on ne le connaît pas».
Ce n'est pas parce que Dieu est destiné à être connu en son essence, sans medium, qu'il n'est pas moins ici-bas «connu comme inconnu». Dieu n'est pas représenté; il n'en est pas moins signifié. Comme Ét. Gilson, il faut prendre l'inconnaissance de Dieu dans toute sa radicalité, mais l'interpréter selon l'ensemble de la doctrine.
En conclusion, nous pouvons interpréter la formule «théologie négative et «noms divins» comme «une équivalence qui n'en est plus exactement une». Peut-être vaudrait-il mieux dire, selon la suggestion de Marion, «théologie négative ou noms divins» pour désigner l'intention de saint Thomas. Ces quelques brèves indications ne peuvent résumer une oeuvre aussi considérable que celle du Père Th.-D. Humbrecht qui éclaire admirablement la pensée de saint Thomas. Il resterait maintenant à reprendre la pensée du saint pour la poursuivre, dans son esprit, en fonction d'exigences nouvelles. - H. Jacobs sj

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La NRT est une revue trimestrielle publiée par un groupe de professeurs de théologie, sous la responsabilité de la Compagnie de Jésus à Bruxelles.

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