La «légende dorée» (Flos Sanctorum) du bienheureux Jacques de
Voragine (1228-1298), dominicain contemporain de Thomas d'Aquin,
devenu archevêque de Gènes, a été (avec la Vita Cristi de Ludolphe
de Saxe) le livre de chevet d'Ignace pendant sa convalescence
(1521-1522) à Loyola, à la veille de sa conversion. Le millier de
manuscrits et les quelque 75 éditions incunables qui nous l'ont
transmise regorgent d'additions et d'interpolations: le texte
original compte 178 chapitres; la version française de 1480 en
compte 262 de plus! Question: que contenait le texte qu'a lu
Ignace? Il était très proche de la traduction castillane (586 pages
et 222 xylographies), publiée à Séville en 1520, retranscrite
aujourd'hui dans la collection des Monumenta historica de la
Compagnie de Jésus et qui diffère fort peu d'un incunable castillan
publié à Burgos en 1500. Outre un calendrier liturgique comportant
quelque deux cents vies de saints, l'ouvrage contient une
concordance de la Passion (incluant une lettre de Pilate à Tibère),
une quarantaine de miracles marials et 35 saints 'extravagants',
non officiels, dont l'ermite Onofrius qui, aux dires de Nadal, a
inspiré Ignace dans sa vie de pénitent. D'autres extraits ont
retenu l'attention d'Ignace: v.g. les biographies de François et de
Dominique, et le récit de l'Ascension, accompagné d'une
illustration, le Christ laissant l'empreinte de ses pieds sur le
mont des Oliviers. Dans une longue et riche préface, F.J. Cabanès
propose une comparaison avec l'original latin: parmi les additions,
qui concernent principalement des gloires nationales, épinglons un
saint italien, Bernardin de Sienne, décédé 146 ans après la mort de
Jc de Voragine. Cet ouvrage nous documente profitablement sur une
hagiographie moyenâgeuse dont l'iconographie de nos cathédrales
portera la marque. Mais qu'en est-il de sa revendication téméraire
de perfeccion de la verdad? À côté de récits fort édifiants il en
est d'autres passablement fantaisistes (v.g. les «quatre couronnés»
§ 2051): auront-ils amusé Ignace? - P.-G.D.