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Euthanasie : réflexions d’un médecin

Rivka Karplus
Se fondant sur son expérience thérapeutique, l’A. montre l’échec de l’euthanasie comme réponse à la souffrance. Là où les malades auraient besoin d’accompagnement, de respect et d’amour, l’euthanasie nie la dignité humaine, l’unicité de la personne et de son expérience. En voulant apporter une « réponse » définitive à la souffrance, l’euthanasie se rapproche de l’acharnement thérapeutique dans son refus d’accepter la situation du malade telle qu’elle est en vérité. Une meilleure compréhension des enjeux peut aider non seulement à se situer face à la question de l’euthanasie, mais aussi à mieux accompagner malades, proches et personnel médical qui s’affrontent à de telles circonstances.

Je suis médecin. Au début de mes années de formation, j’ai travaillé comme infirmière en oncologie/hématologie pédiatrique. Comme médecin, j’ai travaillé en médecine interne (y compris dans les secteurs de gériatrie et d’oncologie), en hématologie et avec des malades du vih/sida, notamment en Afrique. Tout cela ne me rend nullement « experte » en matière de souffrance ; mais j’ai dû y affronter diverses formes de souffrance humaine : celle des patients, de leur famille et des équipes soignantes. En ces temps de débats autour de la législation sur l’euthanasie, il me semble bon d’essayer de préciser autant que possible la situation des personnes malades elles-mêmes et, en même temps, les difficultés que peuvent rencontrer ceux qui sont auprès d’eux, qu’il s’agisse des proches ou de l’équipe médicale.

Ceux qui soutiennent la législation de l’euthanasie, en divers pays, le font le plus souvent au nom de la « compassion » face à la souffrance des malades et de leur « droit » de choisir la mort en y étant assistés par une équipe médicale qui en fournirait les moyens. Deux questions distinctes surgissent donc, à ne pas mélanger : l’euthanasie peut-elle, en certains cas, être une réponse à la souffrance (I) ; peut-il être légitime pour un médecin ou une infirmière d’y participer (II) ?

I Souffrance et euthanasie

1 La personne souffrante

Pour aborder la première question, il faut d’abord bien comprendre de quelle souffrance il s’agit. La souffrance physique peut être insoutenable ; en réalité, elle ne devrait pas l’être. Pour une personne en phase terminale de maladie, les médicaments existants dans le cadre des soins palliatifs peuvent alléger considérablement, sinon éliminer la souffrance. Cela demande souvent beaucoup d’écoute, d’attention au patient pour choisir avec lui les meilleurs médicaments, pour traiter aussi les effets secondaires de ceux-ci (comme la nausée ou la constipation suite aux opiacés) et pour l’aider, dans la mesure du possible, à ajuster lui-même la dose selon la situation. Il y a là, quand cela est bien fait, un grand respect pour le patient : à lui de voir les moments où le plus important pour lui est d’être aussi éveillé que possible, même au prix d’une certaine douleur, et les moments où il ne veut plus ressentir de douleur, et où il choisit d’être un peu plus « endormi » pendant un certain temps. À côté des médicaments, — et c’est non moins important —, il y a tous les autres soins donnés dans le cadre d’ensemble des soins palliatifs : physiothérapie, ergothérapie, pansements, massages, etc., le tout en s’adaptant aux besoins de la personne et à l’écoute de ses volontés, non seulement pour alléger le plus possible sa souffrance, mais aussi pour l’aider à préserver ou à regagner le plus possible d’autonomie physique, à diminuer les atteintes physiques et esthétiques à l’intégrité de son corps telle qu’il la ressent et face au monde extérieur. Là non plus, il ne s’agit jamais de solutions instantanées, mais il s’agit de cheminer avec le malade, d’écouter ce qui, pour lui, a le plus d’importance, et de voir si et comment il serait possible d’y parvenir. À côté de la douleur, de la souffrance physique, il y a souvent celle de se sentir atteint, amoindri, dans son humanité même, par les aspects de la maladie qui diminuent la capacité d’agir, qui créent de plus en plus de dépendance par rapport aux autres, ou qui marquent l’aspect du corps — que tout cela soit visible aux autres ou ressenti par la personne dans ce qu’elle perçoit de son propre corps. Une mère, même sachant qu’elle s’approche de la mort, peut souhaiter pouvoir préparer et envoyer ses enfants à l’école avant de commencer les traitements de la journée ; pour une adolescente en isolation après une greffe de moelle osseuse les soins cosmétiques qui l’aident à se sentir belle (et donc pleinement humaine), peuvent avoir autant d’importance que ce qui soulage sa douleur physique1.

La mort elle-même peut être accueillie paisiblement, à la fois comme une réalité inévitable et comme la fin des souffrances causées par la maladie. Elle le sera d’autant mieux que la personne et sa famille auront eu le temps de s’y préparer et auront bénéficié d’un accompagnement discret ayant répondu aux besoins sans trop déranger l’intimité du moment. En particulier, il y a souvent nécessité de remise en confiance, de réaffirmation : la personne qui meurt aimerait sentir qu’elle n’est pas seule, qu’elle a fait son possible et peut enfin se reposer du combat. Pour les membres de la famille, il est important de savoir non seulement que le nécessaire est fait pour diminuer la souffrance physique des derniers moments, mais aussi de savoir combien leur présence, leurs gestes, sont importants ; même s’ils ressentent souvent un mélange déroutant de sentiments, ils donnent un témoignage d’amour par leur présence même.

Si les réflexions précédentes concernent plus particulièrement les personnes en phase terminale d’une maladie, cancéreuse ou autre, beaucoup des éléments mentionnés seront présents également pour ceux qui souffrent de cancers agressifs ou à un stade avancé, ainsi que pour les personnes qui souffrent de maladies chroniques et incurables entraînant de fortes douleurs, une diminution d’autonomie, ou des défigurations corporelles. Une grande différence étant que dans ces cas-là il s’agit non de soins palliatifs sur une durée limitée à l’approche de la mort, mais de soins pour une période de souffrance dans l’espoir d’une guérison ou d’une rémission (cancers, mais aussi certaines maladies auto-immunitaires2, neurologiques ou autres), ou encore de soins pour la durée d’une maladie progressive et irréversible qui n’implique pas forcément l’approche de la mort (l’exemple le plus connu étant les maladies neuromusculaires progressives). Là aussi, il s’agit de soins adaptés à la situation de la personne et choisis avec elle dans le respect de l’unicité de sa personne et donc de sa situation, à l’écoute de sa souffrance, de ses souhaits, de ses choix.

2 La famille et les proches, l’équipe soignante

Il y a la souffrance de la personne malade, il y a celle de la famille et des proches, et celle de « l’équipe soignante ». La famille et les proches, tout en gardant leur lien particulier et personnel avec le patient, ont souvent la responsabilité d’une partie des soins à donner et donc partagent aussi certaines des réactions du personnel médical. D’autre part, avec le temps, il n’est pas rare que des liens d’amitié et d’affection se forment entre une personne atteinte d’une maladie terminale ou chronique et le personnel qui la soigne ; aussi les réactions du personnel peuvent être similaires, sous certains aspects, à celles de la famille ou des proches amis. De quoi s’agit-il ? Pour la famille et les proches, il y a tout d’abord la souffrance, la douleur, de regarder la souffrance d’une personne aimée, sans pouvoir y porter remède. Il y a la souffrance de voir les atteintes portées par la maladie à l’autonomie, aux forces, à l’aspect physique de celui qu’on aime. Il peut y avoir une culpabilité de ne pas avoir su ou pu empêcher la maladie, ou de ne pas avoir assez exprimé son amour au cours des années passées ensemble. Sont présentes aussi les angoisses que la situation peut évoquer : devoir faire face éventuellement à davantage de diminution ou de souffrance, affronter la mort de l’autre (et donc sa propre mortalité). Sans compter tout simplement la fatigue quotidienne d’accompagner, de soigner, d’aimer tout en portant sa propre douleur — et en devant assumer les tâches de la vie ordinaire en dehors des soins du malade lui-même. Pour beaucoup de familles s’y ajoute le poids de difficultés financières. Tous ces éléments de souffrance se mêlent souvent dans la conscience des familles et des proches, d’une façon très compréhensible : il n’est jamais facile de savoir distinguer la souffrance d’une personne aimée de sa propre souffrance de la voir ainsi. Il est aussi souvent difficile pour les proches d’admettre leur propre douleur, angoisse ou fatigue, comme si cela était « égoïste » face à la souffrance plus grande du malade.

Pour le personnel soignant, il y a, de même, la douleur humaine de voir la souffrance de l’autre — d’autant plus intense si une véritable relation personnelle s’est établie dans la durée. S’y ajoute un sentiment d’échec professionnel de ne pas avoir pu guérir le malade, de ne pas pouvoir éliminer sa souffrance. Même si souvent cela n’est pas avoué ou reconnu, il y a aussi la réaction de tout être humain face à la maladie et à la mort : devoir admettre sa propre mortalité, reconnaître que l’on pourrait un jour se trouver dans une même situation.

3 L’euthanasie, une réponse ?

Après avoir décrit les différents éléments qui composent la souffrance des personnes atteintes de maladie en phase terminale ou incurable, et de ceux qui les entourent, nous pouvons revenir à la question initiale : que vient faire l’euthanasie en tout cela ? L’euthanasie peut-elle être vue comme une réponse à la souffrance de ces personnes ?

L’euthanasie consiste en l’acte de donner la mort, accompli par un membre de l’équipe médicale, à la demande du patient. Il est clair qu’elle met fin effectivement à la souffrance, par un acte définitif et irréversible, puisqu’elle met fin à la vie. On ne devrait pas être surpris qu’un malade puisse, à certains moments ou même pendant une période prolongée, avoir envie de mourir. La maladie, la douleur, la souffrance, portent atteinte à la puissance de vie de l’être humain. Celui qui les subit s’en ressent diminué dans la force vitale qu’il porte en lui, en son autonomie et sa capacité d’action. Il y a une révolte contre la souffrance ou la maladie, qui est en elle-même une affirmation de la vie telle qu’elle devrait être : « Pourquoi donner à un malheureux la lumière, la vie à ceux qui ont l’amertume au cœur, qui aspirent à la mort sans qu’elle vienne3 ? » Cette révolte demande à être écoutée, accueillie : puisque nul ne peut juger de la souffrance d’un autre, nul n’a le droit de la minimiser en voulant y apporter une réponse facile. Mais une vraie écoute accepte d’entendre à la fois la souffrance, parfois le désespoir, et l’affirmation de vie qui s’exprime dans le souhait même de la mort. Souvent, le simple fait d’être écouté, avec respect pour l’unicité de sa personne, même malade, et pour son expérience, — et donc pour sa dignité inaliénable de personne humaine — peut déjà être une réponse à la souffrance de se sentir « moins humain » du fait de la diminution des forces ou de la défiguration apportées par la maladie. L’euthanasie, au contraire, nie la valeur de la vie de la personne concernée, non seulement en affirmant que la mort lui est préférable, mais en se faisant l’acteur de cette mort. Elle se présente comme acte de « compassion », mais elle est tout le contraire. Car la véritable « compassion » exige le temps, la patience de cheminer avec la personne malade, d’écouter sa douleur et sa révolte. Elle implique l’acceptation de notre propre impuissance face à la maladie et à la mort, de notre propre mortalité. Et elle demande, aux proches et aux soignants, d’écouter et d’accueillir la souffrance avec respect, en témoignant de la dignité de la personne malade par l’écoute, les actes et les paroles. L’euthanasie refuse cette compassion en posant un acte qui ne laisse plus de place pour l’écoute, pour l’évolution de la personne. Plutôt que d’affirmer l’humanité de l’autre en acceptant sa propre vulnérabilité, celui qui donne la mort se sépare de celui qui la subit, en lui apportant une « réponse » extérieure — celle de la mort.

Les raisons de demander l’euthanasie peuvent être plus ou moins nettes. La dépression n’est pas rare chez les personnes atteintes de maladie en phase terminale ou chronique. Il peut y avoir la solitude, le rejet vrai ou imaginé des proches, la crainte de peser sur les membres de sa famille. La personne malade peut avoir l’impression qu’elle n’est pas aimée, qu’elle n’est plus digne d’être aimée. Il va sans dire que la réponse en de telles situations n’est pas de donner la mort, mais de soigner la dépression, d’apporter la présence humaine, l’attention et l’amour dont la personne a besoin. La famille et les proches ont un rôle privilégié en de telles circonstances ; l’équipe médicale doit être consciente qu’elle apporte au malade non seulement les soins professionnels, mais une présence, des paroles et des gestes, qui peuvent témoigner de façon discrète de l’humanité inaliénable du patient, du fait qu’il est et restera toujours digne d’amour.

Dès lors que l’euthanasie est présentée comme une option légitime, les membres de la famille peuvent, consciemment ou inconsciemment, encourager le malade à y avoir recours. Ils peuvent y être conduits par leur propre détresse, par la difficulté de dissocier celle-ci de la souffrance du malade lui-même, ou par leur culpabilité de sentir qu’ils n’ont pas la capacité d’alléger sa souffrance ou de lui apporter la guérison. Dans les cas de maladie prolongée, les membres de la famille peuvent ressentir douloureusement la mise entre parenthèses de leur propre vie, et attendre, plus ou moins consciemment, qu’une mort inévitable survienne. Le souhait de l’euthanasie exprimé par le malade, même soutenu, peut alors être reçu comme un soulagement, un terme mis à une situation mal supportée. Il ne s’agit pas de juger ceux qui se trouvent dans cette position, mais d’en voir les difficultés, les tentations. Toute famille dans de telles circonstances demande elle aussi à être accompagnée, soutenue, encouragée à reconnaître ses propres limites et besoins. Mais il faut reconnaître que le fait même de présenter l’euthanasie comme option risque de fausser leur rapport à la situation.

Quant aux soignants, l’euthanasie peut également se présenter pour eux comme une « solution » à un état de vie difficile à supporter. Les promoteurs de l’euthanasie l’opposent souvent à l’acharnement thérapeutique, comme si ceux qui refusent la légitimation de l’euthanasie le soutenaient inévitablement. Le contraire est vrai : euthanasie et acharnement thérapeutique se rapprochent dans le refus d’accueillir la situation du malade telle qu’elle est en vérité. Il est souvent difficile pour un médecin d’admettre son impuissance face à la maladie, d’accepter que la personne qu’il soigne est arrivée au stade où il ne peut que l’accompagner, se trouvant sans pouvoir sur la progression de la maladie. L’acharnement thérapeutique est le refus de cette impuissance, la volonté souvent inconsciente de continuer le combat pour la guérison, même quand celle-ci n’est plus possible, ou pour une rémission même si elle ne peut être obtenue qu’au prix de souffrances disproportionnées. L’euthanasie est tout autant un refus de reconnaître l’impuissance de l’équipe médicale face à la souffrance, puisqu’elle supprime celle-ci pour ne pas avoir à la regarder, par un acte où le médecin réaffirme sa puissance de manière presque absolue : puisqu’il ne peut pas donner la vie, il donne la mort.

En ce moment où le parlement belge vient d’étendre la possibilité de l’euthanasie aux « mineurs dotés de la capacité de discernement », il convient d’ajouter encore quelques précisions. Un des arguments supportant cette nouvelle législation est la maturité précoce que l’on voit souvent chez les enfants souffrant d’une maladie chronique et grave. Mais pour qui connaît ces enfants, il ne s’agit pas d’enfants de 6, 10 ou 14 ans devenus soudain adultes. S’ils ont souvent une grande lucidité face à leur maladie, ils restent enfants dans leur relation à leurs parents, dans leur capacité de jeu même au milieu de la souffrance, dans leur besoin d’être acceptés par les autres de leur âge. Un enfant malade souffre non seulement de sa propre impuissance face à la maladie, mais de celle de ses parents, qui « devraient » pouvoir l’en protéger, comme de toute menace. De même qu’un enfant de parents en voie de divorce peut se sentir coupable de leur désaccord, un enfant malade peut se blâmer de dévoiler l’impuissance de ses parents. La lucidité même des enfants manque souvent de nuances, de perspective. Leur perception du rejet, de ne pas être « comme les autres », peut conduire à des réactions de découragement ou de désespoir. Un enfant peut savoir que sa mort est proche, et l’accueillir même quand ses parents refusent encore d’admettre la douloureuse vérité. Mais il n’a pas la maturité, la perspective suffisante pour savoir la valeur de la vie, et comprendre ce à quoi on lui propose de renoncer. Il n’y a pas de souffrance plus dure à voir que celle d’un enfant ; par conséquent, pour ses parents, pour ceux qui l’entourent, la tentation de proposer ou encourager l’euthanasie peut être grande. Ici encore, il faut voir combien ce qui se propose comme une solution nie la valeur du combat, du courage et de la dignité même de l’enfant. La vulnérabilité des enfants malades devrait être une raison de plus pour les aider et les accompagner avec tous les moyens possibles, jusqu’à la fin. Quelle est cette société qui répond à la souffrance de ceux qu’elle a le devoir le plus fondamental de protéger en leur donnant la mort ?

Si jusqu’à présent la question de l’euthanasie a été posée pour ceux qui en font la demande consciente, qu’en est-il de ceux qui sont dans un état de conscience diminuée, que ce soit par l’avancée d’une maladie terminale, par la sénilité, ou par les médicaments eux-mêmes dont on se sert pour diminuer la douleur ? Que personne ne se fasse illusion : des pratiques euthanasiques sont déjà mises en œuvre sur les malades en état de conscience diminuée. Dans les unités de soins hématologiques ou oncologiques, la tentation peut se présenter de donner un peu plus que ce qui est nécessaire pour pallier la douleur, dans le but conscient ou inconscient de hâter une mort qui semble inévitable et proche, et de mettre fin de cette manière à ce qui semble n’être qu’un parcours de souffrance prolongée. Dans les départements de médecine interne ou de gériatrie, les personnes dont l’état de conscience est affecté par la sénilité ou un accident cérébrovasculaire peuvent être prises en charge par une équipe non formée aux soins palliatifs et responsable d’un grand nombre de patients, n’ayant ainsi ni les compétences ni la disponibilité pour un véritable accompagnement. Face aux patients dont l’état physique se détériore progressivement jusqu’à la mort, et qui parfois n’ont plus aucun proche pour leur rendre visite, la tentation peut être grande de « raccourcir » la souffrance. La législation qui permet l’euthanasie pour ceux qui en font la demande consciente ouvre la porte à l’euthanasie de ceux qui ne sont pas conscients, dans l’illusion de les aider en choisissant pour eux la mort.

II Est-il légitime de participer à l’euthanasie ?

Revenons maintenant à la deuxième question posée au début de cet article : peut-il être légitime pour un soignant — médecin, infirmier ou infirmière — de participer à l’euthanasie, d’être celui qui en pose l’acte ? Même si les arguments précédents semblent déjà y apporter une réponse, en montrant que le « don » de la mort est tout le contraire d’une vraie réponse à la souffrance du malade, médecins et infirmiers risquent de se trouver confrontés à cette question dans la situation actuelle. Les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg ont « dépénalisé » l’euthanasie, et d’autres pays se posent la question de les suivre. Même un médecin qui ne proposerait pas l’euthanasie à ses malades, ni ne l’approuverait pour ceux qui sont suivis par ses collègues, peut se trouver dans des circonstances où il lui serait difficile de refuser d’en poser l’acte. Il peut s’agir d’un patient qu’il suit depuis des années, qui vient demander ce « service » à son médecin, et recevra le refus comme une rupture de la relation. Dans un hôpital, le refus d’un médecin de donner la mort demandée peut créer des tensions avec des collègues qui accepteraient de le faire ; ils le feront en le blâmant de la tâche désagréable qu’ils doivent faire « à sa place ». S’il s’agit d’un service où le chef approuve l’euthanasie, un refus d’y participer peut conduire à un conflit de fond. Celui qui refuse aura peut-être à en payer le prix dans ses relations avec les autres, ou même à perdre sa situation professionnelle. Mais tout cela ne justifie aucunement l’acte de prendre la vie d’un autre, quelles qu’en soient les circonstances. Le refus de le faire comporte au contraire le témoignage pour la personne malade elle-même, pour la famille et les soignants : témoignage de la valeur et de la dignité de la personne concernée. Un refus de participer à l’euthanasie peut être mal accueilli sur le moment par les collègues ou des jeunes médecins en formation et cependant être entendu, ou du moins éveiller des questions. La loi ne peut donner que la possibilité de l’euthanasie. Il dépend des médecins, et de façon plus large de tout le personnel soignant, de déterminer si cette possibilité conduira à la mort des personnes malades.

Conclusion

En conclusion : il faut espérer (et prier pour cela) que la suite actuelle des lois en faveur de l’euthanasie s’arrêtera, que les gouvernements et ceux qui les élisent verront qu’il ne s’agit pas de compassion mais de refus de la vie, d’atteinte à la dignité de celui qui s’approche de la mort. Il faut espérer que les malades en fin de vie, leurs proches et ceux qui les soignent, oseront dire, comme l’ont fait les pédiatres en Belgique, que l’euthanasie ne répond aucunement aux vrais besoins des malades.

Mais même quand de telles lois existent, restera toujours la liberté morale du médecin à qui la demande s’adresse. Un médecin confronté à une demande d’euthanasie peut et doit essayer de comprendre quelle est la douleur, la souffrance ou le désespoir qui motive cette demande, qui s’exprime par elle — et y porter remède autant qu’il peut. Ceci avec toutes les ressources des soins palliatifs, et toute la présence humaine des soignants ainsi que des proches. Si la demande est maintenue, le médecin peut et doit répondre doucement, respectueusement : qu’il est devenu médecin pour soigner, pour accompagner, pour servir la puissance de vie en chaque personne — et qu’il ne peut pas donner la mort.

Notes de bas de page

  • 1 Ces exemples sont basés sur le vécu de personnes rencontrées dans les différents services où j’ai travaillé, sans référence aux circonstances précises.

  • 2 Un exemple : celui d’un jeune homme atteint d’une maladie auto-immune avec une tendance à des thromboses artérielles répétées (syndrome catastrophique des anti-phospholipides) où chaque piqûre ou intervention chirurgicale pouvait entraîner une nouvelle thrombose. En deux mois d’hospitalisation, il avait perdu l’usage de ses deux jambes et d’une main, suite à l’ischémie des membres, accompagnée de douleurs qui nécessitaient des quantités extraordinaires de morphine. Quelques mois après, en réhabilitation, il n’avait plus besoin d’analgésiques, apprenait à se servir d’une chaise roulante et passait du temps à la maison avec sa femme et ses enfants … tout en sachant que le risque de nouvelles thromboses serait toujours là, malgré les traitements qu’il recevait.

  • 3 Jb 3,20-21.

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