A. Gemelli (1878-1959) a fortement marqué le catholicisme italien
de la première moitié du XXe s. Forte personnalité, fondateur de
l'unique Université catholique italienne, il a été fort critiqué
pour ses rapports avec le fascisme. Professeur d'histoire à cette
même Université, Maria Bocci a désiré faire la lumière sur cette
question à partir d'éléments solides: les archives de l'Université
et celles de l'État, outre quelques sources privées. Né dans une
famille milanaise agnostique et anticléricale, Gemelli devint
médecin en 1902 puis fit son service militaire, durant lequel il
fut converti par un compagnon. Dès 1903, il entra chez les
franciscains pour demeurer fidèle à son idéal, proche du
socialisme. Prêtre, il fit preuve d'une activité culturelle
débordante et fonda plusieurs revues de qualité. L'idée de fonder
une Université lui vint durant la grande guerre et dans le désarroi
qui la suivit. Il voulait une Université de valeur, libre mais
reconnue par l'État, pour aider à reconstruire l'Italie et
concurrencer les autres institutions scientifiques et culturelles.
Elle naquit en 1921 avec la bénédiction du Saint-Siège et l'aide
financière des catholiques italiens, aide organisée dans tous les
diocèses. L'arrivée du fascisme au pouvoir dès 1922 et la réforme
des études par le philosophe Gentile vinrent freiner et même
contrecarrer les projets de Gemelli. Bien que désireux d'un
monopole de l'enseignement, Mussolini dut tolérer une Université
soutenue par le pape et les catholiques italiens. Mais Gemelli fut
contraint de développer son oeuvre à l'intérieur du cadre de
possibilités laissées par le fascisme et il tenta de sauver le plus
possible son projet de créer une classe dirigeante catholique. Pie
XI soutenait publiquement le franciscain et le consultait sur
beaucoup de problèmes. Les fascistes l'espionnaient et l'on
retrouve leurs rapports qui l'accusaient de vouloir créer une
classe dirigeante non fasciste.
Il est évident que pour survivre à cette époque, le Recteur dut
donner un certain nombre de gages au régime. Les accords du Latran
en 1929 facilitèrent les relations mutuelles et, par ailleurs, les
catholiques s'accordaient avec le fascisme sur certains points:
antibolchevisme, corporations, stabilité sociale, paix religieuse,
etc., mais dans une perspective chrétienne. Certes, Gemelli dut
lancer quelques fleurs à Mussolini, louer ses réalisations et même
prêter serment d'allégeance en 1931 en prenant une carte du parti,
mais les espions le disaient opportuniste… Il est certain qu'il a
dû louvoyer pour sauver son Université qui portait ombrage à
l'enseignement officiel et en particulier à l'Université de Milan
dont Gentile était vice-recteur. Les lois racistes et la guerre
ravivèrent les tensions.
Dès 1940 cependant, le Recteur réunit un groupe d'hommes sûrs pour
élaborer un programme politique et social en vue de l'après-guerre,
mais qui reste marqué par le fascisme: un État fort, une économie
planifiée… Tous les auteurs culturels de l'époque fasciste ont dû
fournir des gages au régime pour pouvoir exercer leur activité au
grand jour, cela a été démontré, mais on s'est injustement acharné
sur la forte personnalité de Gemelli. Ce livre tente de mettre les
choses au point à partir de bases fiables. Même si elle n'écrit pas
une biographie complète, M. Bocci aurait pu fournir un résumé
chronologique de deux, trois pages qui aurait éclairé les lecteurs
sur l'homme exceptionnel que fut Gemelli et sur son oeuvre globale.
- B. Clarot, S.J.