Alors qu'une certaine actualité tend à imposer l'image d'un islam
monolithique et littéraliste, la fréquentation de grandes figures
et de grands textes classiques plonge le lecteur dans des débats où
la foi et l'intellectualité se conjuguent avec vigueur. Vers la fin
de notre 11e siècle, au Moyen-Orient, Ghazali, auteur de
L'Incohérence des philosophes ainsi que du Critère décisif de
distinction entre l'islam et les hypocrites, affirme l'égale
capacité de tout croyant à scruter intelligemment le sens manifeste
de la Parole coranique afin de professer la juste foi et
d'organiser son existence selon la volonté divine; il s'en prend
moins à la philosophie qu'à la prétention de certains de se
réserver l'intelligence du texte révélé. Près d'un siècle plus
tard, à l'autre extrémité du monde méditerranéen, l'andalou
Averroès (Ibn Rushd), dans son Discours décisif où l'on établit la
connexion existant entre la Révélation et la philosophie,
soutiendra que seul le philosophe est capable de déchiffrer dans sa
cohérence le sens profond du Coran et de l'enseigner à la
communauté des croyants; en retour, les certitudes de sa foi
l'amènent à proposer une lecture critique de certaines positions
d'Aristote, notamment à propos de la matière et de la création, que
le commentateur musulman attribue à une Divinité unique et
transcendante, bienfaisante et vivifiante. - Enseignante de
philosophie à l'Université hébraïque de Jérusalem, l'A. éclaire les
enjeux du débat par la formation et les préoccupations
intellectuelles et religieuses des deux principaux protagonistes
ainsi que par leur insertion dans la société musulmane de leur
temps. Sur plusieurs points, elle propose des interprétations
personnelles et se démarque avec netteté d'autres commentateurs. -
J. Scheuer