S'agissant de philosophie, on a pu parler, de la part de
l'Occident, d'un « oubli de l'Inde ». Cela se vérifie
notamment dans le domaine de l'éthique. D'une part, les productions
savantes et techniques des orientalistes, généralement cantonnées
dans l'examen objectif, philologique et historique, des oeuvres
indiennes, demeurent d'un abord malaisé et contribuent peu à la
réflexion philosophique dans le reste du monde; de l'autre, lorsque
des philosophes occidentaux regardent du côté de la pensée
indienne, c'est souvent pour se hâter de la faire entrer de force
dans des catégories qui ne lui conviennent guère. Projeté il y a
une dizaine d'années, Indian Ethics poursuit la double ambition de
demeurer fidèle à la riche complexité de la tradition indienne et,
tout en facilitant son insertion dans le dialogue international, de
montrer en quoi elle peut renouveler les questionnements sur les
fondements et les perspectives de l'éthique et prouver sa
pertinence pour les questions nouvelles de notre temps. L'ouvrage
comprendra deux volumes. Le second, à paraître, abordera dans une
perspective contemporaine, des questions telles que la justice
sociale, les droits des femmes, l'infanticide, l'éthique
biomédicale, le traitement des animaux et l'environnement. Le vol.
1 explore, des origines à nos jours (Gandhi, Aurobindo), le
patrimoine indien - tant l'»hétérodoxie» bouddhique et jaïn que
l'»orthodoxie» hindoue - en matière de valeurs et de réflexion
éthiques. Sans prétendre à une exhaustivité illusoire et lassante
(comment couvrir toutes les écoles à toutes les périodes?), il
propose l'examen approfondi de notions clés (dharma, karma, devoirs
et droits, finalités de l'existence, libération, non-violence…),
leurs conflits, leurs évolutions historiques, les débats majeurs
qu'elles ont provoqués, notamment quant à la possibilité de les
fonder en raison indépendamment de l'autorité que leur confère un
enracinement scripturaire.
Il semble que la longue gestation de l'ouvrage n'ait pas été facile
et cela explique peut-être quelques aspérités dans le plan
d'ensemble. Inévitablement, certaines contributions sont plus
proches d'une présentation classique des données indiennes alors
que d'autres privilégient les corrélations avec la pensée
occidentale ou une reprise critique et créative. Les quelque vingt
auteurs, parmi lesquels on reconnaîtra de grands noms indiens et
étrangers, ne parlent pas tous d'une même voix, mais cela contribue
à l'intérêt d'un projet qui se veut novateur et exploratoire. - J.
Scheuer sj