Si vous n'avez pas encore eu l'occasion de traverser l'oeuvre du P.
Henri de Lubac, ce livre, une véritable somme, vous le propose. La
question, ancienne, au moins depuis le travail remarqué
d'Affrontements mystiques (1950), est centrale dans la
réflexion et la méditation de Lubac et est une des plus
controversées dans son oeuvre. Cette question n'est pas secondaire
et touche par bien des points à celle, tout aussi polémique,
concernant le Mystère du surnaturel (1965). Car il s'agit,
de part et d'autre, de la compréhension de la centralité du Mystère
que représente l'«Événement» Christ au regard du Mystère du Salut
et du mystère, non moins délicat, de l'expérience que nous pouvons
avoir de notre accès à la «connaissance» de celui-ci. Comment
l'expérience mystique est-elle comprise? Quel est le rapport
d'influence mutuelle entre son «mode» de «science» et l'expérience,
non moins priante, de la «connaissance» théologique? Telles sont
les questions abordées en détail dans cette enquête, que l'on peut
penser exhaustive. Une périodisation précise de la pensée
lubacienne à ce propos permet d'avancer diachroniquement, documents
à l'appui, dans la réponse à la question d'une évolution, d'un
tournant, d'un approfondissement de sa position, d'ailleurs nuancée
et de plus en plus recentrée. Le titre évocateur de la conclusion
en signe «l'excès» de la rencontre nocturne de Dieu: Le combat
de Jacob avec l'ange de Dieu…Un jalon essentiel a été repéré
et analysé par l'A. Dans la préface «Mystique et Mystère» du
célèbre livre du p. André Ravier, la Mystique et les
mystiques (1965), l'ambigüité de la «chose» mystique y était
levée et sa singularité chrétienne nettement et largement déployée.
Les quelque 500 pages de cette enquête minutieuse livrent le
résultat du travail de thèse de Bertrand Dumas, actuellement
enseignant en dogmatique au Centre théologique de Meylan-Grenoble.
Son actualité est évidente. Les débats contemporains de notre
postmodernité autour de «la spiritualité», de l'«intériorité», de
la «pleine conscience», de la «méditation transcendantale» des
expériences orientalisantes (à l'occidentale), si pas chimiques ou
neurologiques, généreuses mais peu clairvoyantes, devraient se
laisser éclairer à la lumière de l'immense travail du p. de Lubac,
ici détaillé et mis clairement dans la perspective des débats
anciens et nouveaux. on sera encore reconnaissant pour les 150
pages d'annexes diverses donnant aussi accès aux archives de Lubac
de Namur dirigées par M.-G. Lemaire. Un travail magistral de clarté
et nécessaire à notre quête aux bords de l'«Abîme» de l'Amour qui
s'est révélé dans le Fils. En Lui la question de Jude (Jn 14,22)
trouve son apaisement. - J. Burton sj