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Aharon Appelfeld: la rencontre avec le Buisson ardent. À propos d'un ouvrage

À propos d’un ouvrage*

Évelyne Frank

Dans la geste de Moïse, Exode 3, qui rapporte l’épiphanie du Buisson ardent, propose une approche du monde d’ordre en quelque sorte phénoménologique dans laquelle les sens sont fortement engagés. Le réel résiste et demeure insaisissable. Promesse est pourtant faite d’une adéquation de cette approche, à certaines conditions : regarder pour écouter, voir dans l’écoute, se risquer à croire en ce que l’on a cru percevoir au point de construire ensuite toute son existence là-dessus.

Pour qui s’est ainsi engagé, l’adéquation de la démarche se signale par l’ouverture d’une aporie existentielle, ce qui fait la différence avec l’hallucination. Le psychiatre Marc-Alain Wolf parlerait d’une « Révélation faisant office de révélation de soi1 ».

Tels me semblent bien les enjeux du récit que, dans son ouvrage autobiographique Histoire d’une vie, le romancier israélien Aharon Appelfeld fait de sa rencontre avec un arbre au-delà du camp de déportation qu’il vient de fuir à l’âge de dix ans2. Jamais le Buisson ardent n’y est nommé. Mais, doublé de l’arbre de la connaissance et de l’arbre de vie en Eden, je crois qu’il est bien là, en palimpseste.

Je voudrais ici regarder cet arbre ainsi que le narrateur devant lui. Se mettent en place une autre relation au monde et une dynamique de l’être que j’essaierai de comprendre3.

Comme une apparition

Il y a, chez Appelfeld, cette évocation d’« un arbre couvert de pommes rouges », tout premier souvenir de liberté à l’automne 1942. L’enfant a réussi à s’échapper du camp où il a été déporté à la frontière ukrainienne un an plus tôt. Jusqu’à ce jour — et il a, à la parution du récit, soixante-sept ans —, il n’a pu dire ni ce qu’il a vécu là-bas, ni comment il a pu fuir. Mais il a pu témoigner des premiers pas en liberté.

En fait, ce n’est pas tout à fait cela. Les premiers pas eux-mêmes font l’objet d’une ellipse narrative, parce qu’ils échappent à la mémoire et peut-être même à la conscience : « De mon entrée dans la forêt je ne me souviens pas, mais je me rappelle l’instant où je me suis retrouvé là-bas, devant un arbre couvert de pommes rouges. »

C’est devant l’arbre que l’enfant reprend ses esprits. Ce sera comme un éveil : prise de conscience, révélation, initiation.

L’arbre de la Genèse

Certes, l’arbre d’Appelfeld fait d’abord penser à celui d’Adam et Ève. C’est, d’une certaine façon, au paradis. L’existence, même précaire, puisque l’enfant est encore dans les bois, sans secours aucun, fait tacitement contraste avec l’enfer du camp. Il s’agit d’un arbre fruitier, la pomme étant devenue dans nos imaginaires, de façon inadéquate, le fruit de l’arbre de la Genèse. Le récit développera toute la thématique du droit de goûter ou non : « Je n’avais qu’à tendre la main et à cueillir. »

L’arbre de feu, au désert

Mais nous reconnaissons bien le Buisson ardent. Il brûle sans se consumer, par métonymie spatiale. Le feu lui est adjacent, sous une première forme, et c’est celui du camp de concentration, dont le narrateur dit : « Cette fois non plus je ne toucherai pas ce feu. » Toucher le feu serait raconter ce qui se passa là. Quelques heures plus tard, le feu est aussi contigu à l’arbre sous une autre forme, heureuse celle-ci : « le coucher du soleil qui rougeoyait entre les arbres ».

De plus, l’arbre est rouge, avec ses beaux fruits !

Il apparaît sur fond de désert, dans la mesure où l’enfant est affamé : « Cela faisait plusieurs jours que je n’avais pas mangé ». L’enfant a fait l’expérience de l’essentiel. Or le Buisson ardent ne se donne que dans le dépouillement.

Enfin, il est au-delà de la menace de mort et sur le seuil de la liberté, une liberté encore à vivre.

Un apprivoisement

L’enfant reste longtemps dans la proximité de l’arbre. D’où trois moments, avec chacun sa gestuelle, qui sont comme trois visions successives de l’arbre.

Le premier temps est fait de « quelques pas en arrière », mouvement qui n’est pas sans rappeler, dans la liturgie synagogale, les quelques pas en arrière précédant la prière dite Amidah, cœur de la prière, en laquelle l’orant, debout, parle à mi-voix directement à Dieu, récitant un texte que les autres disent de même. L’attitude du narrateur est ainsi celle de l’homme en présence de la Chekhinah. Puis, il y a dans le texte d’Appelfeld un temps de contemplation immobile, toujours « debout », dans une paralysie croissante. La notion de paralysie figure deux fois dans l’original hébreu, en deux mots différents. Le premier comporte la racine du mot Shoah ; le deuxième dit un silence physique. Ainsi, jusque près de l’arbre, une puissance de mort agit qui ne régressera que très progressivement, en ses signes physiques.

L’enfant s’assied « sur place ». Il mange là « une petite pomme à moitié pourrie qui était tombée au sol ». À ce moment-là, ne peut encore être absorbé qu’un fruit abîmé. Le narrateur est toujours sous le joug de ses tortionnaires qui lui ont inculqué qu’il ne vaut pas mieux. Il s’endort : manger, dormir, ce sont les gestes de la vie normale et de la confiance qui, auprès de l’arbre, reviennent, certes de façon encore tout à fait inchoative. Ils résultent aussi de l’épuisement. Le soir, au coucher du soleil, quand l’enfant s’éveille, la paralysie demeure, mais elle est moins physique : « je ne savais que faire ». Il y a alors le geste de l’adoration, rare en monde juif, réservé au Grand Pardon — et encore s’agit-il en cette fête plutôt d’un prosternement : je « me mis à genoux ». C’est ici un geste de bonheur. Le narrateur le met en relation moins avec le monde religieux que profane, dans une relation respectueuse à la terre, malgré tout faite de prière : « Je n’avais pas appris à prier, mais cette position me rappelait les paysans qui travaillaient aux champs et qui s’agenouillaient, se signaient et restaient immobiles. » L’enfant reste pour la nuit à dormir auprès de l’arbre.

Le lendemain matin, la relation à l’arbre devient de connaissance, par contact tactile et gustatif. Le narrateur cueille une pomme « dure », « acide ». S’ensuit une sorte d’acharnement au sens premier du terme : « la mordre me fit mal aux dents mais je la mordis encore et encore ». Ce n’est pas le geste pour la faim : « après avoir été affamé pendant des jours, l’homme cesse d’avoir faim ». Il y a comme une appropriation de l’arbre : « la chair du fruit pénétra dans mon œsophage contracté ». Puis l’enfant retrouve l’immobilité du « je ne bougeai pas ». Cette fois-ci, à l’inverse de ce qui s’est passé la veille, le problème n’est plus l’approche de l’arbre, mais le fait de le quitter : « Il me semblait qu’il m’était interdit de quitter le pommier ainsi que le fossé près de lui. »

Des réactions semblables à celles de Moïse

Ce pommier suscite des réactions qui rappellent celles de Moïse, en dépit de quelques différences. L’enfant éprouve une sorte d’effroi sacré. Attraction-intimidation entraînant la paralysie, c’est vraiment de la fascination.

Le narrateur dit avoir été d’abord « stupéfait ». Le mot hébreu sous-jacent à la traduction contient le mot « sang ». Autrement dit, le sang du narrateur a été ébranlé par la rencontre de l’arbre. Le sang, pour un juif, c’est la vie. L’arbre a sollicité la vie de l’enfant jusqu’en ses artères et ses veines. Le sang renvoie peut-être aussi à un savoir ancestral. Ce qui advient là est éminemment physique, intime, et ancien.

Puis il y a, comme chez Moïse, un détour. Non que l’enfant contourne l’arbre, mais son approche est, dans un premier temps, recul de « quelques pas en arrière ».

Quand il s’agit de partir, et Moïse et le narrateur atermoient. Moïse reste longuement en discussion avec Celui qui s’est révélé dans le Buisson ardent, refusant un temps d’aller de l’avant dans la mission qui est aussi le sens de sa vie, jusqu’à ce qu’il en vienne à reconnaître : « je dois » Ex 4,18. L’enfant demeure figé auprès de l’arbre, jusqu’à ce que la contrainte physique de la soif l’en détache.

Des enjeux semblables en dépit des différences

Devant son Buisson ardent, l’enfant ré-apprivoise la vie et, ce faisant, se réapprivoise à la vie, une vie « normale » : dormir, manger, avoir soif. Comme à Moïse, qui ne savait plus trop qui il était, lui, l’Égyptien hébreu ou l’Hébreu égyptien, une identité lui est restituée. L’enfant n’est plus un numéro dans le camp. Il n’est pas non plus seulement un fugitif, un clandestin. Il est quelqu’un. Il a un nom, qui lui est rappelé. Et, de ce nom, il fera un nom en littérature. Si l’arbre est un pommier, apple tree, lui, il est et sera Appelfeld.

Comme Moïse qui découvre qu’Abraham, Isaac et Jacob sont ses pères et qui renouera avec Aaron son frère, l’enfant retrouve près de l’arbre une insertion familiale. Car une autre expérience prolonge celle du Buisson, auprès d’un ruisseau. Significativement, la partie racontant le cours d’eau ne fait pas l’objet d’un nouveau paragraphe mais reste dans le paragraphe du Buisson au matin, dans le troisième moment de la vision. Au bord du ruisseau, la mère est d’une certaine façon restituée. C’est comme une hallucinose : « L’eau dessilla mes yeux (…) je la vis (…) soudain elle tourna son visage vers moi (…) ».

Auprès de l’arbre, si l’enfant retrouve la capacité d’exercer les fonctions vitales, son identité et un tissu social, il reçoit également le droit qui fonde la possibilité de vivre. Pour Moïse et le peuple d’Israël, la sortie du tombeau de l’Égypte s’est préparée dans le Buisson ardent. Pour le narrateur, la mort, celle de sa mère, est transcendée auprès de l’arbre, puisqu’il peut alors dire : « Sa mort est profondément ancrée en moi — et, plus que sa mort, sa résurrection. » Or un enfant ne trouve l’autorisation de vivre que si sa mère vit et vit heureuse. Ce qui advient auprès du pommier, c’est vraiment pour le narrateur la reprise de la vie, en grand. Puisque la mère est vivante et heureuse, il a le droit, lui-même, d’être vivant et heureux. Puisque sa mère est « debout près de la fenêtre, en contemplation, comme elle en avait l’habitude », attitude de l’attente désirante, il pourra réaliser une œuvre.

Et le lecteur de songer à Viktor Frankl

Comment ne pas penser ici au rapport que le psychiatre viennois, un temps proche de Freud, Viktor Frankl (1905-1997), fit des réactions psychiques d’un déporté, selon certaines étapes repérées, dans le camp de concentration et après4. C’est un travail de clinicien, « étonnant » par sa « froideur maîtrisée et distanciée », note Gérard Haddad5, Frankl ayant vécu tout cela.

Dans cet ouvrage, Un psychiatre déporté témoigne, Viktor Frankl dit l’importance de la nature pour le déporté. Il en a une « profonde et intense perception », la contemple dès que possible. Parfois, c’est au péril de sa vie : quand il se risque à faire un détour pour s’approcher de ce que le camp en laisse filtrer. Le déporté entre devant la nature « en état de ravissement »6. Au moment de la libération, la toute première réaction, c’est d’aller voir la campagne à l’extérieur du camp. La nature fait alors médiation entre le camp et le retour à la vie commune. « C’est ainsi, en allant dans la nature, qu’on pénètre dans la liberté » constate Viktor Frankl.

Mais ce n’est pas un moment heureux. Il y a un effet de sidération. Le psychiatre témoigne : « On arrive dans un pré. On y voit des fleurs épanouies ; de tout cela, on prend connaissance, mais sans en prendre aussi le “sentiment”. » Pourquoi ? C’est qu’« on a, littéralement, désappris à ressentir la joie » explique Viktor Frankl. Que celle-ci ne soit pas au rendez-vous éveille une sourde honte7.

Lorsque bien des jours plus tard, Viktor Frankl entra lui-même dans une perception de la liberté non plus seulement intellectuelle mais chargée d’émotion, réalisant au sens anglais du terme, ce fut encore au contact de la nature. Comme chez Appelfeld, la perception de la durée s’estompa : « Combien de temps demeuras-tu là (…)8 ? »

Le corps réagit le premier. Il s’agit d’abord de manger, remarque Viktor Frankl. Mais si Appelfeld en reste à une portion très congrue, l’attitude est plus généralement de boulimie9.

Ayant quitté ses inhibitions, le corps se love comme l’enfant à naître dans un agenouillement de reconnaissance certes, et d’émerveillement, mais aussi de recherche de sécurité préparant l’élan neuf. C’est vraiment une renaissance. Viktor Frankl le dit explicitement : « Tu regardes autour de toi, et tu regardes là-haut — et puis… tu te mets à genoux. (…) De mon angoisse, j’ai crié vers Yahvé, / Il m’exauça, me mit au large (…) Combien de fois répétas-tu cette phrase ? (…) Ce jour-là, à cette heure, commença pour toi une nouvelle vie. Pas à pas, et non point autrement, tu pénètres dans ta nouvelle vie. À nouveau, tu deviens homme. »10 Cette dernière phrase est à entendre en se souvenant que toute l’entreprise nazie visait à faire intégrer par la victime juive qu’elle ne faisait pas partie des humains.

Enfin, comme Appelfeld, Viktor Frankl a la perception vive, à jamais vive, que sa femme morte est là et le soutient11. Il met ceci en relation avec le fait d’avoir été de ces êtres habitués « à avoir une vie de l’esprit particulièrement éveillée et active », car s’opère alors, dans l’adversité, « en eux, un repli » et « pour eux, s’ouvre une issue vers un royaume de liberté d’esprit et de richesse intérieure ».

Viktor Frankl raconte. Il quitte, en commando de travail, le camp, à l’aube, dans un froid glacial, sous les hurlements et les coups de crosse des gardiens d’escorte. Il patauge dans la neige et trébuche. « Et alors, là, devant moi, se dresse l’image de ma femme… (…) Mon esprit est maintenant tout occupé par un visage, et il le maintient dans ce phantasme, exceptionnel en état de veille et qu’il n’avait jamais connu autrefois dans la vie normale. Je parle avec ma femme, je l’entends me répondre, je la vois sourire, je saisis son regard qui m’interroge, qui m’encourage, et — réel ou non — ce regard brille maintenant, bien plus que le soleil qui se lève à l’instant. »

S’ouvre alors pour Viktor Frankl tout un monde. À partir de la « contemplation intérieure de l’image, enclose en lui, de l’être aimé », il comprend que l’amour est le sommet de l’être, qu’il est ce qui demeure quand tout nous est pris — Christiane Singer en fin de vie dira la même chose sur son lit d’hôpital12. Il comprend « le salut des créatures, par l’amour et dans l’amour ». Il en vient à penser que, dans l’amour, l’« être-là », « l’être-avec-moi-ici », et même « l’être-en-vie » « n’a plus d’importance », ce qu’il dit encore sous une autre forme : « que l’aimée soit encore vivante ou non, (…) cela est devenu, en quelque sorte, sans objet (…) je n’ai pas besoin de le savoir : pour mon amour, pour mon souvenir d’amour, pour la contemplation aimante de son visage dans mon esprit, cela ne peut plus avoir d’importance. » C’est ainsi que Viktor Frankl entend désormais le Cantique des cantiques chantant l’amour plus fort que la mort.

Nous avons là une clef pour l’existence, que Viktor Frankl trouve peut-être dans la compréhension du temps parfait en culture juive. Dans nos mentalités, quand nous vivons un événement, nous avons le sentiment qu’il est perdu, une fois passé. Ceci nous jette dans une sorte de compulsion : aller de fête en fête pour conjurer la fin de la fête, ce qui s’avère épuisant et tout à fait inefficace. Le monde juif, peut-être pour des raisons grammaticales, raisonne autrement. Le verbe est conjugué à une forme accomplie ou inaccomplie. Tant que je suis dans le présent, je suis dans l’inaccompli. Je ne suis pas dans la jouissance plénière. Il est fort possible que l’événement n’aille pas jusqu’à l’achèvement, ce qui me privera du fruit. Quand l’événement est passé, il est accompli, parfait, fait jusqu’au bout. Je l’ai en entier et il ne peut plus m’être ravi. Il y a à cela deux conditions, cependant. La première, c’est que je garde la mémoire de cet événement. La seconde est que cette mémoire demeure vive, refusant toute nostalgie. Je puis par la mémoire retrouver l’événement passé si j’accepte de renoncer à la plainte. Il me faut être pascal(e) : accepter de passer, accepter d’ouvrir les mains, accepter de recevoir le même autrement, dans la confiance que ce sera tout aussi fort. Alors, tout m’est restitué, avec saveur.

Fruits de la rencontre

L’expérience du Buisson ardent chez Appelfeld a un avenir. La vie est définitivement relancée. C’est ce que le Nom de Dieu mettait en place au Livre de l’Exode. Le psychanalyste Daniel Sibony le souligne : « L’être dit je et quelque chose s’engendre ; et dès que ça s’engendre, l’être dit je et l’avenir est investi : je serai. Le temps bascule. Ou encore les battements de la vie, à tous les niveaux où elle s’engendre, sont des secousses de l’être qui dit je, et s’articule sur l’avenir13. »

Pour l’enfant, il y a eu rééducation à la condition d’être libre, notamment dans l’alimentation tout à fait progressive. La conscience du corps est revenue. Sa mémoire s’est formée et l’on sait l’importance de la mémoire en monde juif : « Mon corps se souvient mieux que moi de ces pas en arrière » ; « j’ai encore aujourd’hui la sensation de cette position et, chaque fois que je m’agenouille, je me souviens du coucher de soleil qui rougeoyait entre les arbres. » Un voir particulier s’est inscrit dans le regard : « Chaque fois que je fais un faux mouvement du dos ou que je recule, je vois l’arbre et les pommes rouges. »

C’est une mémoire heureuse : « et j’ai envie de me réjouir », viatique pour les temps à venir. Dans les années d’insertion difficile en Israël, Appelfeld trouvera la paix auprès des arbres, exerçant un travail transitoire, de quatre ans, consistant à les tailler14.

* * *

Nous sommes avec Appelfeld devant un arbre de feu, un arbre de désir. Dans son texte comme dans la Bible, parce qu’on a affaire à un arbre de vie, c’est très charnel.

Se met en place une dynamique. Prendre le temps de s’apprivoiser au Buisson ardent débouche sur une perception de sa propre identité plus claire, un processus de vie, une libération. Dès lors, il y aura exode, au sens biblique du terme : « chemin menant hors de l’inhumain vers la vie ». L’enfant passe de l’ordre de mort en camp de concentration au fait d’oser se donner définitivement et consciemment l’autorisation de vivre.

Que ce soit conscient ou non pour l’auteur, le texte d’Appelfeld relaie la promesse ancienne, en Ex 3, pour les heures longues de découragement ou pour les moments de confrontation avec le terrible qui soudain fait basculer une existence : pour qui se risque à la confiance, la Vie ouvrira un chemin.

Notes de bas de page

  • * A. Appelfeld, Histoire d’une vie, paru en hébreu en 1999, publié en français aux éditions de l’Olivier, Paris, 2004, ici cité dans la coll. Points, chap. 8, p. 60-62.

  • 1 M.-A. Wolf, Un psychiatre lit la Bible, Paris, Cerf, 2005, p. 116.

  • 2 Aharon Appelfeld est né dans une famille juive assimilée en 1932, en Bucovine, alors en Roumanie. Déporté, il a réussi à s’échapper et a vécu pendant 3 ans dans la forêt d’Ukraine puis chez l’habitant. Il fut recueilli et enrôlé par l’Armée rouge. Il a rejoint la Palestine en 1946, à 14 ans. Il vit actuellement à Jérusalem. Il a enseigné à l’université, a écrit des romans et des ouvrages poétiques. L’un de ses derniers livres est paru en 2011 aux éditions de l’Olivier : Le garçon qui voulait dormir. Aharon Appelfeld compte parmi les auteurs israéliens de renommée internationale. Il a reçu en 2004 le Prix Médicis étranger, en 2005 le Prix Nelly-Sachs.

  • 3 Merci à M. le Rabbin Philippe Cohen pour la reprise avec lui du texte d’Aharon Appelfeld en hébreu, reprise qui a ouvert des perspectives nouvelles dans ma lecture.

  • 4 V. Frankl, Un Psychiatre déporté témoigne, Paris, éd. du Chalet, 1967.

  • 5 G. Haddad, Lumière des astres éteints. La psychanalyse face aux camps, Paris, Grasset, 2011, p. 188.

  • 6 V. Frankl, Un Psychiatre déporté témoigne (cité n. 4), p. 57-58.

  • 7 Ibid., p. 121.

  • 8 Ibid., p. 123.

  • 9 Ibid., p. 122.

  • 10 Ibid., p. 123.

  • 11 Ibid., p. 54-56, 59.

  • 12 C. Singer, Derniers fragments d’un long voyage, Paris, Albin Michel, 2007, p. 41-42 : « Je croyais jusqu’alors que l’amour était reliance, qu’il nous reliait les uns aux autres. Mais cela va beaucoup plus loin ! (…) Nous sommes à l’intérieur les uns des autres » ; « Derrière l’incommensurable souffrance, j’ai vu l’abîme sans fond de la tendresse des mondes », p. 36 ; « Quand il n’y a plus rien, il n’y a que l’Amour », p. 41 ; « L’amour n’est pas un sentiment. C’est la substance même de la création », p. 41.

  • 13 D. Sibony, Lectures bibliques, Paris, Odile Jacob, 2006, p. 127.

  • 14 A. Appelfeld, Histoire d’une vie, p. 129-130.

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